« Je n'ai jamais été aussi optimiste pour l'histoire de l'art ! », s'enthousiasme Dan Hicks, joint par téléphone à Oxford, où il est à la fois professeur d'archéologie contemporaine et conservateur au Pitt Rivers Museum. « Comme dans d'autres disciplines, on entend enfin d'autres voix, après des décennies d'enseignement abstrait », poursuit l'auteur de The Brutish Museums. The Benin Bronzes, Colonial Violence and Cultural Restitution (non traduit en français), ouvrage publié en 2020 et salué comme une « bombe » par le L.A. Times. Dan Hicks cite d'emblée la figure de l'historienne de l'art française Bénédicte Savoy, co-autrice en 2018 avec l'économiste sénégalais Felwine Sarr d'un rapport sur les restitutions commandé par Emmanuel Macron, et dont les conclusions ont eu pour effet direct la restitution d'œuvres des collections françaises, notamment au Sénégal et au Bénin. Il évoque « un grand changement générationnel ». « Celles et ceux qui ont grandi dans les années 1980 et après connaissent un monde plus international et multiculturel que la génération d'avant. Nous avons vu la fin de structures qui semblaient immuables. Bénédicte Savoy l'a dit : ''Comme pour la chute du mur de Berlin, il y aura un avant et un après les restitutions''. »
Depuis une petite décennie, l'histoire de l'art, si elle étudie depuis longtemps ces questions, alimente de manière plus large et plus visible les luttes décoloniales, féministes et celles des minorités. Elle n'est plus partagée uniquement dans le milieu académique ou celui, autrefois très conservateur, des musées. En France, l'Institut national d'histoire de l'art (Inha) s'ouvre à une plus large audience, multipliant les événements publics : du festival d'histoire de l'art, organisé depuis 2011 à Fontainebleau, au congrès de jeunes chercheurs « Rotondes » dont la première édition a eu lieu en octobre dernier, ou actuellement la série de rencontres « À quoi sert l’histoire de l’art aujourd’hui ? », qui invite des personnalités de domaines divers, comme récemment l'historienne de la littérature Frédérique Aït-Touati ou la dessinatrice de presse Catherine Meurisse. On y croise des personnalités comme Zahia Rahmani, qui a dirigé le colloque et la publication Sismographie des luttes, apport majeur pour l'étude des luttes anti-coloniales. À l'université, les questions féministes notamment sont portées par des chercheuses reconnues comme Charlotte Foucher Zarmanian, au sein du LEGS (Laboratoire d'études de genre et de sexualité du CNRS), Elvan Zabunyan, à Rennes 2, ou Isabelle Algrain, qui vient de publier l’ouvrage collectif Archéologie du genre, construction sociale des identités et culture matérielle. Certaines autrices engagées comme Linda Nochlin, Elisabeth Lebovici ou Anne Lafont sont lues au-delà des bibliothèques spécialisées.
Pourtant, on ne voit pas se démarquer de grandes figures médiatiques comme c'est le cas dans d'autres domaines, à l'instar de Patrick Boucheron pour l'histoire ou Bruno Latour pour la philosophie des sciences. Depuis le Williams College, dans le Massachusetts, où elle est cette année professeure invitée, Anne Lafont remarque que « ce qui a changé, ce sont peut-être les profils de celles et ceux qui…