Quel héritage nous ont laissé les années 1980 ? Les disparitions coup sur coup de Ricardo Bofill, Jean-Jacques Beineix et Thierry Mugler sont venues remettre en mémoire des images, dont certaines hantent encore. Les froides architectures d’inspiration classique du premier, à commencer par le grand complexe Antigone conçu à Montpellier, ont mal vieilli ; le film 37°2 le matin du second flamboie encore de son romantisme acide ; les tailles étranglées et épaulettes généreuses du dernier n’étaient pas faites pour passer inaperçues.
Décomplexées et m’as-tu-vu, les années 1980 claquent et friment. Les défilés tournent à la superproduction, la mode devient un show. Un vent de liberté souffle sur les bandes FM. À la télé, Michel Polac aborde dans Droit de réponse les questions qui fâchent. De l’élection de François Mitterrand à la chute du mur de Berlin, en passant par la catastrophe de Tchernobyl et l’explosion de la navette Challenger, cette décennie qui rompt avec le « cool » des années 1970 est celle de la fin des utopies. La crise économique due aux différents chocs pétroliers fait sentir ses effets dans la culture de la manière la plus aiguë. Le thatchérisme fait exploser le punk en Grande-Bretagne, la crise sociale aux États-Unis pousse à l’émergence de nouvelles voix, celles des minorités noires et portoricaines opprimées qui s'expriment dans la musique hip hop et sur les murs des villes (à voir à la Philharmonie de Paris en ce moment), le VIH/Sida ravage le milieu artistique dont certaines figures, comme Keith Haring ou Derek Jarman (auquel le Crédac à Ivry-sur-Seine a récemment rendu hommage), se lancent dans la bataille, tandis que le monde entier s’oublie sur la disco-pop de Michael Jackson.
L'art, entre activisme et « années fric »
Au même moment, le monde de l'art se polarise. La Picture Generation (Cindy Sherman, Jenny Holzer, Sherrie Levine, Richard Prince) joue avec les codes de la publicité, tandis qu'on assiste au grand retour de la peinture, avec la Figuration libre, la bad painting et les néo-expressionnistes allemands. Quel regard porte-t-on aujourd'hui sur l'art de Robert Combas, Georg Baselitz ou Julian Schnabel ? « Cette peinture est vue rétrospectivement par certains comme réactionnaire ou orientée marché, note l'historien de l'art Morgan Labar. Mais un bon nombre, comme Baselitz [exposé actuellement au Centre Pompidou, ndlr], restent très présents. » Le chercheur pointe la position anti-intellectualiste qui se forge au cœur de ces « années fric », celle d'un néo-libéralisme effréné qui voit émerger l'art comme divertissement avec Jeff Koons et une certaine « esthétique de la bêtise » à laquelle répond, d'une toute autre manière, une figure comme Mike Kelley. C'est aussi, raconte Morgan Labar, « le début de la domination du marché et la création…