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Comités d’artistes et contrefaçon : de nouvelles embûches juridiques ?

Comités d’artistes et contrefaçon : de nouvelles embûches juridiques ?
Le dos d'une huile sur toile.
© Alamy Stock Photo.

La Cour de cassation affirme que l'apposition au dos d'une œuvre contrefaisante, de manière visible à l'œil nu et indélébile, de la mention « reproduction » suffit à réparer l’atteinte portée aux droits d’auteur. Une solution qui n’est pas sans interroger. 

Peu connus ou mal connus du grand public, les comités d’artistes jouent un rôle majeur en matière de certification d’authenticité des œuvres d’art afin d’assurer leurs prix sur le marché de l’art. Or, les demandes des propriétaires d’œuvres peuvent parfois conduire à la constatation de faux ou de contrefaçons pour laquelle les comités peuvent agir.

La contrefaçon est définie à l’article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle comme « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur ». Dans le domaine de la peinture et du dessin, la reproduction fidèle de l’œuvre d’un artiste, exécutée dans le but de la faire passer pour une œuvre authentique de celui-ci constitue donc une contrefaçon, alors que le faux est une œuvre exécutée généralement dans le style et portant la signature apocryphe d’un artiste dans une intention frauduleuse. 

Certains comités procèdent, dans une démarche amiable, à la rétention des œuvres comme « pièces à conviction » pour faire des rapprochements ultérieurs, d’autres optent pour le marquage des œuvres ou leur destruction en demandant aux propriétaires de les détruire eux-mêmes. Fort malheureusement, lorsqu’aucune voie amiable ne peut être trouvée, la destruction peut être requise par décision de justice et sera normalement obtenue. 

Il est vrai que le Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’en cas de « condamnation civile pour contrefaçon, […] la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets [contrefaisants] soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée ». Si les comités luttent pour la destruction des contrefaçons, les juges peuvent se montrer plus cléments en optant pour un simple marquage, comme le démontre la Cour de cassation.

Destruction ou marquage ?

En 2012, un collectionneur tchèque a saisi le Comité Marc Chagall afin d’obtenir un certificat d’authenticité d’un tableau intitulé Femme nue à l'éventail portant la signature de l’artiste. Estimant qu'il s'agissait d'une œuvre contrefaisante, le comité a assigné le particulier en contrefaçon et destruction de l'œuvre. Après expertise, il a été reconnu que l’œuvre était contrefaisante. En 2019 la Cour d’appel de Paris a refusé la destruction de l’œuvre et a simplement ordonné l'apposition, de manière visible à l'œil nu et indélébile, au dos de l'œuvre litigieuse, de la mention « reproduction ».

Insatisfait de cette solution, le comité a saisi la Cour de cassation au motif que l’apposition ne permettait pas au public de savoir si cette copie avait été, ou non, faite avec l'accord de l'auteur ou de ses ayants droit et donc si elle était, ou non, licite. Par un arrêt du 24 novembre 2021, les juges du Quai de l’Horloge ont considéré que « c’est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des modalités de réparation de l'atteinte portée que la Cour d'appel a estimé […] que l'apposition de la mention “reproduction” […] suffisait à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux ».

C’est la première fois, à notre connaissance, que la Haute juridiction rejette aussi frontalement une demande de destruction au profit du marquage. Bien que conforme aux principes du droit d’auteur, la solution n’est pas sans paradoxe : marquée du sceau de la « reproduction », l’œuvre non authentique est susceptible de réapparaître à plus ou moins long terme sur le marché. Il est donc recommandé de conserver des archives sur ces contrefaçons marquées afin de pouvoir les appréhender plus facilement en cas de réapparition.

Impératif d'intérêt généal

Une interrogation demeure : le détenteur d’une œuvre contrefaisante pourrait-il invoquer son droit de propriété pour contrer une demande de destruction fondée sur une atteinte aux droits d’auteur ? Le 3 novembre 2021, la Cour de cassation semble avoir répondu par la négative en ordonnant la destruction de deux faux dessins de Modigliani. Selon cette dernière, la destruction répond à un impératif d’intérêt général de lutte contre la contrefaçon et garantit de manière proportionnée que les objets contrefaisants soient définitivement écartés de tout circuit commercial. Dans ce contexte, l’arrêt du 24 novembre accentue un peu plus les difficultés auxquelles les comités d’artistes se heurtent pour défendre les œuvres qui leur sont confiées.

Pierre Noual.
Pierre Noual.
D.R.

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