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Repli religieux au Collège des Bernardins

Repli religieux au Collège des Bernardins
La nef du Collège des Bernardins, Paris.
© Laurent Ardhuin.

Douze ans après l’ouverture du Collège des Bernardins, organe de réflexion de l’Église en France, son ambitieuse programmation d’expositions se replie en partie sur le phénomène religieux. Ce tournant, pris discrètement par la nouvelle direction depuis 2019, est révélateur d’une tension sur la vocation du lieu, et a provoqué de nombreux départs au sein des équipes. 

En 2008, le Collège des Bernardins, joyau de l’architecture cistercienne fraîchement rénové par Jean-Michel Wilmotte, était inauguré en grande pompe au cœur du Ve arrondissement parisien. Sa vocation : être l’organe de réflexion de l’Église en France, en lien avec la société. « Un lieu de refondation du dialogue véritable, œuvre de construction, de questionnements et d'enrichissements mutuels, point de convergence de divers modes d'expression et de recherche autour de la question centrale de l'homme et de son avenir », insiste le communiqué de presse de l’époque. Cette vaste ambition s’appuie sur trois piliers : la recherche, la formation et une programmation culturelle faisant une vaste place à la création contemporaine. Initiée notamment par Jean de Loisy, la programmation d’expositions égrène les projets de Claudio Parmiggiani, Bruno Perramant, Stéphane Thidet, Pauline Bastard ou Abdelkader Benchamma. En janvier 2020, l’optique n’était plus vraiment la même : le collège accrochait des « Icônes contemporaines de Russie, d’Ukraine et d’ailleurs », et quelques mois plus tard consacrait une exposition au pape Jean Paul II. En 2022, la nef accueillera un vaste événement sur Notre-Dame de Paris en réalité augmentée, avec le mécénat de L'Oréal. Un tournant révélateur du repli religieux de l’institution et de la tension sur sa vocation. 

« L'évangélisation ? C'est notre mission »

Car en la matière, les vues ne sont pas totalement partagées. Pour Sara Dufour, responsable du service culturel de 2015 à 2019, « le collège et sa programmation artistique avaient vocation à interroger le monde et ses grands enjeux actuels, dans une perspective humaniste et avec un esprit d'ouverture à l'autre ». Ainsi de l’exposition déployée par Abdelkader Benchamma dans la nef en 2018, « réflexion sur le cosmos et la place de l'homme dans l'univers » empreinte d’une forte dimension spirituelle. « Il y avait déjà une tension sur la vocation du lieu, raconte Sara Dufour. Certains, en interne, trouvaient que la foi n’était pas assez au cœur de la programmation artistique. » La direction soutient alors néanmoins ces projets, qui sont tous validés. C’est à la faveur du changement de direction que le vent tourne petit à petit, sans tambour ni trompette. Le mouvement commence du côté de l’Église avec la nomination en 2017 du très conservateur Mgr Aupetit à la tête de l’archevêché de Paris, siège occupé auparavant par le cardinal André Vingt-Trois. En 2019, Mgr Alexis Leproux (parti depuis) prend la tête du conseil d’administration des Bernardins, et Laurent Landete, influent dans la communauté de l’Emmanuel, devient directeur des opérations et de la programmation. Il est depuis 2020 directeur général du Collège. Sans qu’elles soient formulées publiquement, les vues de l’un comme de l’autre divergent de celles de leurs prédécesseurs. « Que faites-vous pour l’évangélisation de la Ville de Paris ? Car c’est notre mission », a ainsi demandé Mgr Alexis Leproux aux équipes de la programmation. 

Un artiste qui devait faire partie de la programmation de l’automne 2020 aux Bernardins raconte : « L’idée était de mettre en lien les écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament avec des textes d’autres religions, notamment le Coran et la Bible hébraïque. J'envisageais pour cette recherche d'explorer beaucoup d’archives, en passant du temps au Collège, sous la forme d'une résidence. » Le projet est organisé et budgété avec les équipes. En février 2020, il est l’objet d’un rendez-vous entre Laurent Landete et l’artiste. « Nous avons beaucoup parlé des écritures et de la relation de l'art au sacré, un sujet qui me passionne. Puis il m'a suggéré, avec conviction, de "manger la Bible", le livre à la main. Je ne m’attendais pas à ça. Je me suis demandé si je devais décliner ce projet, mais j'ai souhaité le maintenir, peut-être en prenant des risques, mais en envisageant dans ces conditions un dialogue permanent. » L’entretien est aussi l’occasion d’évoquer la programmation du lieu. « Selon ses mots, les expositions d'art contemporain passées s’apparentaient à un outrage, il m’a indiqué qu’elles n’auraient plus cours ici. » 

La crise du Covid a mis en suspens le projet de cet artiste, mais il n’a jamais été reprogrammé, officiellement pour des raisons budgétaires. « Il y a moins d’espace pour le dialogue interreligieux alors que c’était l’un des piliers du collège », remarque néanmoins un employé. Les cours de Rachid Benzine, l’une des figures de l'islam libéral francophone, ont disparu du programme. « Y aurait-il une confusion entre le rôle d’une paroisse et celui des Bernardins ? », s’interroge une ancienne salariée. Cette situation a provoqué depuis trois ans de nombreux départs dans les équipes. « La plupart des athées sont partis » et « plusieurs des croyants les plus modérés ont quitté les lieux », indiquent d’ex-salariés. 

Remettre de la « cohérence »

Pourtant, aujourd’hui, l’art contemporain ne disparaît pas du Collège – lequel fonctionne toujours sans subvention, avec un budget de 7 millions d’euros annuels, dont 50 à 60 % issus de la Fondation des Bernardins. L’établissement accueille en ce moment le travail de Vincent Chevillon, questionnement sur le temps et la question écologique, proposé par la nouvelle chaire « Laudato Si », consacrée à la transition écologique. Pierre Korzilius, responsable du service culturel depuis septembre dernier, essaie de tracer une troisième voie, et présente plusieurs propositions ambitieuses. « Il n’y avait sans doute pas assez de liens entre certaines expositions d’art contemporain et l’identité du lieu, explique-t-il. Il faut remettre de la cohérence entre la programmation, le contenu spirituel et l’histoire des Bernadins. Aujourd’hui, nous invitons de grands artistes, comme Laurent Grasso ou Anselm Kieffer l’an prochain, et de plus jeunes, qui veulent s’investir dans ce lieu. » Et en parallèle, des sujets plus chrétiens : « L’idée n’est pas de faire uniquement de l’art sacré et des icônes. » 

Le Collège des Bernardins, Paris.
Le Collège des Bernardins, Paris.
© Laurence de Terline.
Le Collège des Bernardins, Paris.
Le Collège des Bernardins, Paris.
© Laurent Ardhuin.
Echo de la naissance des mondes, œuvre éphémère de l'artiste Abdelkader Benchamma dans la crypte du Collège des Bernardins en 2018.
Echo de la naissance des mondes, œuvre éphémère de l'artiste Abdelkader Benchamma dans la crypte du Collège des Bernardins en 2018.
© Benchamma/Jean-Matthieu Gautier - Ciric.
Vue de l'exposition « Parmiggiani » au Collège des Bernardins, 2008-2009
Vue de l'exposition « Parmiggiani » au Collège des Bernardins, 2008-2009
D.R.
Pierre Korzilius.
Pierre Korzilius.
© Laurent Ardhuin.
L'Orgue de Bois, projet musical, expérimental et monumental au Collège des Bernardins, Paris.
L'Orgue de Bois, projet musical, expérimental et monumental au Collège des Bernardins, Paris.
© Domitille Chaudieu.
Vue de l'exposition « Pour la vie du monde. Icônes contemporaines de Russie, d'Ukraine et d'ailleurs » au Collège des Bernardins en janvier 2020.
Vue de l'exposition « Pour la vie du monde. Icônes contemporaines de Russie, d'Ukraine et d'ailleurs » au Collège des Bernardins en janvier 2020.
© Vinciane Lebrun/Voyez-Vous.

Article issu de l'édition N°2275