Il n’y a pas eu, en France, de #MeToo dans l’art. Du moins pas encore, en tout cas pas comme on l’a vu, depuis 2017, dans le cinéma, puis le sport, la cuisine, le jeu vidéo ou tout récemment le théâtre. Ailleurs, à Houston, Séoul ou Philadelphie, des responsables de musées ou de galeries ont été licenciés pour cause de harcèlement moral ou sexuel. Ici des voix cependant ont été entendues, grâce notamment à des collectifs informels, souvent anonymes et unis sur les réseaux sociaux, pour dénoncer les brimades au travail, les discriminations racistes ou les violences sexuelles dans les écoles, les centres d'art, les galeries (Balance ton école d’art, Les mots de trop, My art not my ass, La Part des femmes), et plus largement le système qui les permet (documentations.art).
Pour pallier l’inefficacité des tutelles (voire leur inaccessibilité), des structures bénévoles se sont formées, comme La Buse, qui a lancé une plateforme de « visibilisation des pratiques abusives ». Peu de noms sont sortis, peu de plaintes ont été révélées. Cas rare en France, le président des Amis du Palais de Tokyo, Bernard Chenebault, était remercié en 2019 pour avoir, entre autres, tenu des propos haineux contre Greta Thunberg publiés sur Facebook. Au même moment, l'Adiaf, association de collectionneurs, se fendait d'un code de déontologie après que le comportement raciste ou sexiste de certains de ses membres a été épinglé. Mis en cause, telle directrice d’institution a été recasée ailleurs, tel professeur d’école d’art a retrouvé son fauteuil, tandis que les alertes s’accumulent dans les boîtes mail du ministère, révélant notamment l’impasse institutionnelle des lieux associatifs (Frac et centres d’art), où burn-out et démissions en série (ainsi au Magasin de Grenoble, à Bétonsalon et dans plusieurs Frac) révèlent un problème structurel majeur de gestion humaine.
La plainte déposée contre Claude Lévêque, accusé de pédocriminalité par plusieurs victimes, a bouleversé de nombreuses personnes plus ou moins proches de l’artiste célébré par les institutions, et divisé le microcosme entre celles et ceux qui croient les victimes et les autres qui estiment qu'il faut « séparer l'homme de l'artiste ». Mais la justice est lente, les digues tenaces, et les eaux sont redevenues calmes. Du moins en surface. Car dans cette affaire comme dans d’autres, moins médiatisées, l’onde de choc a permis, si ce n’est de placer les personnes face à leurs responsabilités, du moins d’éveiller les consciences et de montrer que le milieu de l’art n'est pas immuable, malgré l'omerta qui le sclérose. À condition d'en démonter les mécanismes : précarité, déséquilibres de pouvoir et entre-soi.