À Moscou, les visiteurs du musée Pouchkine avaient fini par oublier comment tous ces chefs-d'œuvre de Cézanne, Renoir et Picasso avaient atterri dans l’illustre institution de la rue Volkhonka. Il a fallu attendre la perestroïka et les recherches salutaires de Natalia Semenova pour mettre un terme à des décennies de silence soviétique et exhumer la mémoire des grands collectionneurs russes du début du XXe siècle. Nationalisée dans les années 1920, la collection des frères Morozov est d’abord devenue la propriété d’un éphémère « musée national d’art moderne occidental », créé dans l’hôtel particulier d’Ivan Morozov. Avant d’être dispersée, sans cohérence, dans les principaux musées du pays, partage qui a enterré le nom de ces acteurs incontournables du marché de l’art européen.
Rassembler la somptueuse collection Morozov et la faire voyager en dehors de Russie : ces deux premières font de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton (à partir du 22 septembre) un événement artistique et médiatique – la rétrospective de la « gloire russe » Ilya Répine, qui ouvre le 5 octobre au Petit Palais, à Paris, en collaboration avec la Galerie Tretiakov, attise moins l'enthousiasme. Avec la collection Chtchoukine, le premier volet de ce diptyque consacré aux « icônes de l’art moderne » avait réussi le même exploit diplomatique. « Ce projet n’aurait pas pu se concrétiser en Russie compte tenu de la rivalité entre Moscou et Saint-Pétersbourg », note Natacha Milovzorova, chargée de recherche au Centre Pompidou. Revenir sur la répartition arbitraire décidée sous Staline demeure en effet un point d’achoppement entre les deux capitales. Irina Antonova, la légendaire directrice du musée Pouchkine (décédée l’année dernière), n’a cessé de réclamer publiquement un retour des…