Rappelons ce que signifie cet acronyme, NFT : jeton non fongible en français. Il s’agit d' un format basé sur la blockchain qui permet aux artistes de créer des œuvres numériques rares ou uniques (pensez posters, en opposition aux éditions limitées). Depuis la vente controversée de Beeple, le 11 mars dernier, nous avons été assommés de projets, records et prédictions en tout genre, survenus en trois phases, qu’il est utile de repenser :
Mars-avril 2021 : la « bulle »
Les cryptomonnaies ont atteint des niveaux historiques, et les investisseurs ont alors cherché à diversifier leurs investissements par des placements dans les NFT alors en croissance. Ces premiers « collectionneurs » étaient donc des acteurs financiers, du monde de la cryptomonnaie, loin du profil des collectionneurs classiques. Par exemple, l’acheteur de l'œuvre de Beeple n'était autre que Metakovan, un investisseur de la cryptomonnaie qui a utilisé son achat à des fins entrepreneuriales. De multiples spéculateurs ont suivi, attirés par ce nouvel actif lucratif, avec des retours sur investissements à court terme très intéressants. Cela s'est traduit par un nombre total d’acheteurs de NFT passant de moins de 20 000 par mois en février à plus de 60 000 en mars (source : nonfungible.com).
Mai-juin 2021: le crash ?
Les mois suivants ont vu un recul du volume de ventes de NFT avec la sortie de beaucoup d’acteurs spéculatifs, due notamment à un recul de la valeur des cryptomonnaies et à une faible liquidité des NFT plus difficiles à revendre immédiatement. Mais si l’on regarde plus attentivement les données, on voit surtout un marché en croissance avec un glitch (dysfonctionnement temporaire, ndlr) plutôt qu’un crash, comme en témoignent les données de nonfungible.com qui montrent un nombre stable de portefeuilles actifs, passant de 5 000 en février 2021 à 40 000 en mars, et ne redescendant qu'à 30 000 en juin.
Du côté des artistes, ils se penchent sur le format, tentent de trouver leur voie et explorent leurs options. Les galeries restent majoritairement en retrait, incertaines de cette nouvelle technologie censée rendre les intermédiaires caduques, et les maisons de vente aux enchères voient un débouché lucratif et surfent sur la vague amorcée par Christie’s, sans toujours totalement maîtriser le sujet et avec quelques faux pas.
Juillet-août 2021 : la vraie bulle ?
Pendant l'été, les projets NFT se sont recentrés sur des cartes de collection et avatars en tout genre, avec des prix encore plus faramineux qu’en mars-avril. Même les maisons de vente ont capitalisé sur des projets génératifs, comme les CryptoPunks, les Bored Apes et autres pingouins, brouillant les pistes et les données. L'été a aussi été ponctué d’effets d’annonce venant des stars, du sport, ou encore des jeux vidéo, avec de nombreux projets se vendant en quelques secondes. Le volume d'échange hebdomadaire de NFT est ainsi passé de 192 millions de dollars en mai à 1,144 milliard fin août. Ce que l’on avait pris pour une bulle ne comptait alors que 60 000 acheteurs mensuels, pour 140 000 en août ! Un exemple révélateur est l’œuvre générative de Tyler Hobbs, Fidenza 313, qui a été vendue le 23 août pour 3,3 millions de dollars (1 000 ETH) après seulement quelques mois sur le site Art Blocks, dont le volume de vente a été de 294 millions de dollars en août. L’été aura donc été beaucoup plus actif et « bullé » que mars-avril.
Et maintenant ?
La rentrée se fait donc sur les chapeaux de roues et les artistes eux aussi bénéficient de ces prix forts. Nous assistons au plus important transfert de valeur en faveur des artistes dans le marché de l’art jamais atteint. Des œuvres comme La Chapelle Sixtine underground de Pascal Boyart ou les projets 1111 et 888 de Kevin Abosch atteignent des prix de vente et de revente record.
Mais l’art ne représente encore que 14 % de ce volume de vente des NFT, contre 66 % de collectibles (sources : S1 2021, nonfungible.com) et la croissance n’est pas assurée. Pour paraphraser Colborn Bell, fondateur du Museum of Crypto Art, et Kelani Nichole, fondatrice de la galerie Transfer, la valeur artistique se construit dans le temps et est très peu corrélée à la valeur financière à court terme.
Le monde de l’art crypto a commencé avec la finance et la spéculation, et évolue désormais vers une approche plus organisée, avec l'avènement d’expositions, de commissaires et de chercheurs, pour assurer une reconnaissance de la valeur artistique de ces œuvres sur le long terme. L’art ne restera peut-être qu’une infime partie du marché des NFT, mais ces derniers mois ont montré qu’il y a un potentiel fort d'amélioration du statu quo et une potentielle redéfinition de l’art contemporain. Mais cela prendra du temps, des bulles et des corrections de marché.