Par Armelle Malvoisin
« Pour Art Paris, j’ai sélectionné vingt artistes de différentes origines et de différentes générations qui montrent un panorama éclectique et foisonnant du portrait figuratif de la scène française en 2021. Ce qui lie ces artistes, c’est d’abord un hyper-réalisme des personnages, une critique de la société, un ''déterminisme social'', une fenêtre sur notre manière d’habiter le monde. On peut aussi parler d’un témoignage d’un temps social. Une ''photographie du monde'', de l’espace dans lequel ils vivent. Leurs peintures nous confrontent à une réalité sociale du quotidien. »
Les corps fantômatiques d'Alin Bozbiciu
Galerie Suzanne Tarasiève
Voilà un an et demi que Suzanne Tarasiève a eu un véritable coup de foudre pour la peinture à la touche expressionniste de ce génial artiste roumain, « avant même d’avoir visité son atelier, ce qui est extrêmement rare » raconte-t-elle. Ses toiles sur les corps dansant ont tout autant subjugué le public lors de son premier solo show à la galerie à l’automne 2020, qui « sont parties comme des petits pains ! » Il propose une série sur ce thème pour Art Paris. Passionné d’opéra, de musique classique, de poésie et d’histoire de l’art qui l’inspirent tout autant, Alin Bozbiciu (né en 1989) a une parfaite maîtrise des techniques picturales qu’il met au service de sa sensibilité. Ses compositions monumentales ont la majesté de la grande peinture d’histoire.
Cette sensation de déjà vu chez Jean-Luc Blanc
Art : Concept
D’où vient ce caractère ambigu, ce sentiment de déjà vu et d’étrangeté à la fois qui émane des œuvres de Jean-Luc Blanc (né en 1965) ? Sans doute de sa pratique singulière de la réappropriation des images, celles qu’il recueille dans des films, revues, articles de presse, cartes postales, publicités ou dernièrement des peintures sur visage de Serge Diakonoff. « Ma passion me porte vers ces images déjà constituées que j’organise d’une manière très disparate pour leur trouver une autre respiration, une autre voix », explique-t-il. Tel un réalisateur, il recadre ses sujets, souvent en plan rapproché, et leur ajoute une touche personnelle qui modifie leur expression et leur confère un caractère énigmatique.
Il y a du Schiele chez Ana Karkar !
Galerie Hors-Cadre
L’œuvre d’Ana Karkar (né en 1986) se nourrit d’images collectées sur Internet, qu’elle a repérées au cinéma, à la télévision ou dans des clips vidéo, et qu’elle retravaille à sa manière, pour faire de ces photos « objectives » des peintures « subjectives ». Elle cite Francis Bacon, Peter Doig ou encore Daniel Richter comme ayant influencé sa façon de transformer les clichés. Son sujet d’étude est principalement le corps féminin qu’elle réinterprète en le faisant onduler et en lui imposant des distorsions un peu comme le faisait Egon Schiele. Ainsi souhaite-t-elle provoquer une lecture libre du spectateur sur des compositions affranchies de toute objectivation.
Thomas Lévy-Lasne réinterprète Rosa Bonheur
Galerie Les Filles du Calvaire
Pour son Champ, Thomas Lévy-Lasne (né en 1980) s’est inspiré du tableau Le labourage nivernais (1849) de Rosa Bonheur qui, au-delà de la banalité apparente du sujet, est aujourd’hui devenu un témoignage sur un travail existentiel. « Et puis il y a la boue peinte, la réussite spectaculaire du tableau pour celui qui traine ses yeux généreusement », commente Thomas Lévy-Lasne qui a voulu à son tour « rendre la boue par la boue ». Le Champ renvoie à la culture de la betterave sucrière. « Les méfaits du sucre à trop haute dose dans nos alimentations n’est plus à prouver, rien d’existentiel donc à calibrer le paysage par le tracteur, à éteindre la terre par la monoculture, ses additifs, ses pesticides. Je ne me retrouve pas à peindre le petit monde poétique des herbes folles comme Rosa mais bien un paysage de la fin de l’époque thermo-industrielle. »
Les moments d'inertie de Marcella Barceló
Galerie Anne de Villepoix
Il faut lâcher prise pour apprécier la peinture de Marcella Barceló (née en 1992), ses paysages oniriques aux coloris féériques qui sont animés de figures adolescentes évanescentes, inspirées par l’univers de Balthus, Lewis Carroll, Nabokov ou encore Laura Kasischke, et dont l’atmosphère fait aussi référence à l’ukiyo-e japonais (le « monde flottant »). « J’aime l’idée de cet âge de métamorphoses, moment déséquilibré que j’essaie de représenter par des poses maladroites, attitudes avachies, des états d’ennui provoqués par les moments d’inertie : idéalement, je souhaiterais représenter les pensées d’une lycéenne qui scrute l’horloge en attendant qu’elle sonne, livre l’artiste. Il y a dans mes peintures une dimension autobiographique, à la manière d’un journal intime : les scènes d’extérieur sont des souvenirs de mon enfance passée sur l’île de Majorque, des étés chauds et de l’odeur des fleurs cueillies qui pourrissent au soleil. »
Jérome Zonder réinvente le dessin
Galerie Nathalie Obadia
« Dessiner revient pour moi à créer un espace symbolique qui fonctionne ; construire un système dans lequel on peut faire entrer le monde et ses questions », confie Jérôme Zonder (né en 1974), qui développe depuis près de vingt ans une œuvre centrée sur la pratique constamment réinventée du dessin qu’il explore à sa limite. À partir d’un flot d’images numériques, son œuvre polygraphique au fusain et à la mine de plomb procède d’un travail critique qui oscille entre réel et fiction, posant des interrogations sur la condition humaine. En référence aux trois protagonistes du film Les Enfants du Paradis de Marcel Carné, Garance, Baptiste et Pierre-François sont par exemple devenus des personnages récurrents de ses œuvres, évoluant dans le temps. Tandis que ses séries Fruits de l’histoire et Chairs grises proposent une mise en scène de notre histoire collective, titillant notre conscience.
Les autoportraits de Yan Pei-Ming
Galerie Thaddaeus Ropac
Mondialement connu et apprécié pour son coup de pinceau expressionniste, notamment hérité de Goya et de Rembrandt, qui donne à ses portraits monumentaux, souvent monochromes, un point de vue inédit sur ses sujets, Yan Pei-Ming (né en 1960) a une actualité intense dans l’Hexagone. Montré actuellement à Avignon (Palais des Papes et collection Lambert) et à Colmar (musée Unterlinden), il est aussi à l’honneur à Art Paris, à travers une série d’autoportraits, marquant un retour du peintre à sa propre image. Créées au cours des derniers mois, ces œuvres reflètent les sentiments d’isolement et de solitude vécus par l'artiste pendant le confinement, et mettent en exergue les formes du conflit intérieur dans une double démarche à la fois intime et universelle.
Marjane Satrapi redonne le pouvoir à la femme
Galerie Françoise Livinec
Reconnue internationalement pour sa bande dessinée Persepolis et ses films d’animation, Marjane Satrapi (née en 1969) s’impose magistralement en peinture en représentant des femmes qui évoquent les personnalités fortes de son enfance en Iran. Bien que figuratifs, ses tableaux ne sont pas narratifs : chaque œuvre est construite comme un plan séquence qui ouvre un mystère jamais élucidé, même pas par un titre qui reste énigmatique. L’artiste a choisi de s’exprimer dans une gamme chromatique forte mais limitée à quatre coloris principaux : le noir profond qui marque la chevelure, souligne un vêtement et structure un décor, le rouge vif des lèvres et des robes épousant les corps sculptés, le bleu et le rose en complément. Enfin, dans des proportions volontairement exagérées, les femmes monumentales occupent tout l’espace. Histoire de bien marquer le coup.