De Jerry Maguire soutenant les étoiles du sport américain à Ari Gold gravitant autour des stars hollywoodiennes, en passant par Andréa ou Gabriel de la série à succès Dix pour cent, la figure de l’agent est une icône du paysage artistique. Si les tentatives d’exporter ce modèle des industries du cinéma, du sport, de la mode ou du livre dans la sphère des arts visuels ne sont pas nouvelles, aucun véritable modèle d’agence n’a jamais perduré sur le long terme. Mais la donne pourrait être en train de changer. Signe avant-coureur, en 2015, l’Américaine United Talent Agency (UTA) créait une branche consacrée aux artistes contemporains, dont Ai Weiwei. En septembre dernier, naissait à Londres Southern & Partners, après le départ du co-fondateur de la galerie Blain Southern. La même année, Marine Tanguy lançait son agence MT Art, une façon de « respecter ses valeurs politiques et sociales en diffusant l’art plus largement, mais aussi de trouver une nouvelle solution économique aux artistes ». Elle est depuis installée à Londres, Paris, Monaco et Madrid, classée parmi les « 30 under 30 », les 30 de moins de 30 ans qui comptent, d’après le magazine Forbes, et labellisée B Corp, un label qui distingue les entreprises à impact positif sur l’environnement et la société.
Fin 2019 naissait Spring, sous la houlette de Géraldine Bareille et Nicolas Renucci. « Nous voyons apparaître une nouvelle génération d’artistes qui veut être accompagnée différemment et nous souhaitons démocratiser l’accès au marché », professe la fondatrice. La société réunit aujourd’hui 11 artistes, parmi lesquels Lia Rochas-Pàris, Rubén Martín de Lucas ou Shani Ha. Parmi ces entrepreneurs, on compte encore Artenders, fondée au printemps 2020, centrée sur les très jeunes artistes et qui se veut « média, agence artistique, incubateur », ou encore Studio Artera, qui prépare son lancement pour la rentrée prochaine.
Sratégies de communication
Tous revendiquent une approche globale. Chez Artera, Mathilde Soubie entend mettre en place des « stratégies à 360 degrés », terme cher aux agences de communication, quand Géraldine Bareille se veut être une « galerie augmentée, soit une galerie à l’ancienne mais digitale, et ouverte sur le monde ». De son côté, Marine Tanguy explique : « Lorsque nous signons un artiste, nous définissons une stratégie sur mesure en fonction de ce qu’il souhaite devenir. Nous sommes un accélérateur. » Concrètement ? Le spectre proposé s’étend de l’exposition et des ventes d’œuvres aux collaborations avec les entreprises, en passant par les commandes publiques. À l’exception de UTA, ces acteurs n’ont pas de lieu fixe, aussi leurs expositions sont-elles organisées dans des espaces divers : lieux institutionnels, galeries, centres d’arts privés…
Cet hiver, Spring présentait ainsi Soft Power à l’hôtel de Gallifet à Aix-en-Provence dans le cadre de Manifesta, et ce printemps, Artenders investissait 193 Gallery avec son projet Error4h04. Ces agences développent aussi de nombreux projets dans l’espace public, comme MT art et Beyond Walls de l’artiste Saype, qui s’étalait sur 15 000 m2 au pied de la tour Eiffel. Chacun entend mettre au cœur de son entreprise la démocratisation de l’accès à l’œuvre d’art, qu’il s’agisse de s’y heurter dans la rue ou de la trouver sur des produits vendus en supermarché. Marine Tanguy et ses équipes ont installé les œuvres de Claire Luxton sur les camions de Flight Logistics ou celles de David Aiu Servan Schreiber dans les boutiques Diptyque.
L’un des points forts de cette nouvelle génération d’entrepreneurs est encore de déployer pour leurs artistes des stratégies de communication dignes de leur époque, en axant notamment sur les réseaux sociaux et les nouveaux formats éditoriaux digitaux. Plusieurs de ces sociétés ont également fait naître des clubs de collectionneurs. « Nous essayons d’engager des communautés d’amateurs d’art. Pour 15 euros par mois, nous proposons à nos membres des visites d’ateliers, des rendez-vous avec des experts, des expositions… », détaille Géraldine Bareille. Une démarche qu’avait déjà adoptée MT Art, en collaboration avec Christie’s.
Sur mesure
Aussi, le modèle économique repose-t-il sur plusieurs piliers : les sociétés se rémunèrent sur la vente d’œuvre, avec un pourcentage autour de 30 à 40 %, les projets avec les entreprises ou dans l’espace public et les cotisations des membres qui peuvent être ponctuellement mécènes. MT Art comme Spring ont levé des fonds auprès d’investisseurs – dont Frédéric Jousset, propriétaire du Quotidien de l’Art. Qu’en disent alors les artistes ? « Ce format agence, sans exclusivité, me correspond bien, avec un accompagnement sur mesure et des expositions régulières, dans des lieux très différents. Le soutien dans mes projets, y compris les demandes de résidences, est très appréciable », répond Lia Rochas-Pàris, qui collabore avec Spring.
Si l’ambition et l’enthousiasme sont tangibles dans ces projets, le recul manque pour apprécier leur pertinence à long terme, sur le plan artistique comme économique. « Il me semble que ces acteurs offrent des solutions à court terme, plutôt qu’une valorisation à long terme de la carrière des artistes. Et l’impossibilité d’accéder aux foires est problématique, soutient le galeriste Georges-Philippe Vallois, mais ces modèles pourraient être complémentaires avec une galerie, grâce à leurs contacts avec le monde de l’entreprise et leur expertise en communication. » Avis aux amateurs.