Un soir de janvier dernier, après une journée passée à faire l'inventaire d'une succession, l'œil du commissaire-priseur Antoine Petit est accroché par une toile ovale, sale et enfumée, perchée haut sur le mur d'un appartement de la Marne. Au revers du tableau représentant un philosophe lisant, une signature est gravée dans le cadre en bois : Fragonard. Pour Stéphane Pinta, expert du Cabinet Turquin chargé d'authentifier la découverte, cela ne fait aucun doute : « Jean-Honoré Fragonard est assez peu copié : sa fougue, sa liberté, la manière dont il semble sculpter la lumière et la peinture sont inimitables ». Pendant 200 ans, le Philosophe lisant est oublié, ses propriétaires pensant que la toile a peu de valeur. C'est en 1779, lors d'une vente aux enchères, qu'il est fait mention pour la dernière fois du « philosophe en buste chauve, la barbe blanche, fixé sur un livre ouvert ». Jusqu'alors, cette description était associée à un autre Philosophe lisant conservé à la Kunsthalle de Hambourg. La toile du peintre emblématique du XVIIIe siècle est datée par les experts entre 1768 et 1770, période très recherchée par les collectionneurs. « À cette époque l'artiste est à son apogée, il s'affranchit de la tutelle de son maître François Boucher et du style rococo. Sa grande spontanéité exprime un réel plaisir de peindre » explique Stéphane Pinta. Le « chef-d'œuvre », estimé 1,5 à 2 millions d’euros, sera le point culminant de la vente du 26 juin par la maison de ventes Enchères Champagne d’Épernay.