Vingt-neuf en 2023, puis trente-neuf en 2024… En trois ans, selon le Syndicat national des maisons de ventes volontaires, près de 100 maisons de ventes ont vu le jour dans l'Hexagone. Portées par des commissaires-priseurs âgés en moyenne de 30-35 ans, ces nouvelles enseignes restent encore méconnues du vaste marché de l’art, dominé en France par l’éternel peloton Sotheby’s, Christie’s et Artcurial, suivi des vétéranes nationales Drouot Enchères, Tajan, Aguttes, Cornette de Saint Cyr, Piasa, Osenat… Ce n’est pourtant pas faute de mal se porter. Leur profusion suit la courbe croissante de leur rentabilité, qui surprend jusqu’à leurs fondateurs mêmes. Lorsqu’il crée sa maison Artesia Enchères à l’automne 2023, Florent Marles envisage deux à quatre ventes par an. Une année écoulée, et il en est à 27. S’ils ne se paient encore qu'à hauteur du Smic, l’entrepreneur et son associé réussissent déjà à couvrir leurs frais fixes de 30 000 euros par mois, ont embauché deux clercs et un stagiaire, et espèrent bien augmenter leur salaire dans les années à venir.
« La possibilité de grimper existe », confie Florent Marles, dont le parcours est emblématique de celui de nombre de ses pairs – et des rouages rouillés de la profession. Après de longues études – une double formation en droit et en histoire de l’art et l’obtention d’un concours de haut niveau –, les jeunes diplômés commissaires-priseurs peinent à trouver un stage (post-formation obligatoire de deux ans dans une étude), avant de se retrouver soit sur le carreau, soit à la merci d’une offre d’emploi sous-payée. Bien souvent « sans aucune perspective d’évolution, raconte Florent Marles. Les maisons de ventes traditionnelles ont longtemps été en situation de monopole, se gardant bien de partager le gâteau. En tant que jeune commissaire, on atteint très vite le plafond de verre, quels que soient nos compétences et nos résultats. On produit de la richesse pour une entreprise qui ne nous rendra jamais la pareille ».
Libéralisation de la profession
Le calcul est vite fait pour les jeunes travailleurs motivés auxquels la chance est donnée de se lancer, depuis la libéralisation de la profession actée par la loi Macron de 2016. Jusqu’alors, les maisons de ventes opéraient selon le même principe que les cabinets de notaires, associés à un territoire et à une charge passée de père en fils. Impossible de créer une maison sans le rachat d’une étude établie – dont le coût prohibitif rendait quasi nulles les chances de réussir pour ceux venant d’un milieu modeste. « Seuls les fils de familles aisées pouvaient tirer leur épingle du jeu », avance Florent Marles, lui-même fils d’ouvrier.
Dans ce système cloisonné et conservateur, les femmes étaient aussi les grandes perdantes. Toutes et tous s’accordent à dire que le milieu était « machiste », selon le terme employé par plusieurs jeunes commissaires-priseurs ayant décidé de briser les codes d’une profession en mal de modernisation. « La profession a pourtant toujours été autant féminine que masculine. Simplement, les femmes étaient enfermées dans le rôle de clercs, invisibles au grand public et aux collectionneurs. L’idée qu’une femme puisse être à la tête d’une étude était impensable », détaille Amélie Desaize, qui a fondé en octobre 2024 la Maison Enkan, après être…