Béatrice Josse, nommée en juin 2016 à la direction du Magasin de Grenoble (rebaptisé entre temps Magasin des Horizons) a quitté ses fonctions le 5 mars, après un arrêt maladie qui courait depuis novembre 2019. Elle n’a pas répondu à notre demande d’entretien. Sur une équipe originelle de neuf membres, quatre restent en poste, après plusieurs départs et arrêts maladie. Deux salariées, dont les propos nous ont été confirmés par une source proche du dossier, témoignent d’un grand défaut de gouvernance et d’une souffrance au travail qui a concerné la quasi-totalité des salariées recrutées par la nouvelle directrice après le départ d’Yves Aupetitallot en 2015, qui avait lui-même été mis en cause pour harcèlement par ses employés, dont beaucoup, en burn out, sont partis dans la foulée. Le Magasin des Horizons se trouve actuellement sans programmation pour 2021. « Depuis l’arrivée de Béatrice Josse, le conseil d’administration, aujourd’hui déserté par ses membres (hors tutelles), a systématiquement dénigré son travail. C’était de l’acharnement, et elle ne recevait de soutien d’aucun membre », disent les salariées. Sa programmation avait fait l'objet de nombreuses critiques de la part de divers acteurs du milieu de l'art, notamment en raison des rares expositions organisées (lire l'Hebdo du 11 janvier 2019).
Les salariées dénoncent par ailleurs le fait que le CA, présidé depuis 2013 par Anne-Marie Charbonneaux, ne les inclurait pas dans les décisions : ainsi une chargée de formation aurait-elle appris par un compte-rendu de CA en janvier 2020 que la ligne budgétaire de son programme (30 000 euros) était supprimée par la région, la laissant sans mission pour l'année. Lors de la même réunion, le CA mettait l'association en « année de probation » : les subventions seraient versées si certains objectifs étaient atteints – objectifs qui n’auraient jamais été transmis. Ainsi la région a-t-elle fait passer en 2020 sa contribution de 280 000 à 28 000 euros, sur un budget de 1,2 million d'euros. Jérôme Maniaque, directeur de la communication d'une société de pompes funèbres grenobloise, a été nommé directeur par intérim en juillet 2020 : depuis, toutes les salariées ont été en arrêt maladie ou ont quitté le Magasin. Certaines d’entre elles déplorent l’abandon des tutelles, notamment de la DRAC – le ministère de la Culture (via la DGCA), principal financeur mais sans pouvoir décisionnaire, n’a pas répondu à notre demande d’entretien.
L'abandon des collectivités
Autre problème majeur : le bâtiment, une ancienne halle reconvertie par Patrick Bouchain en 1986 pour une occupation temporaire de quatre ou cinq ans. Les salariées déclarent : « À l’arrivée de Béatrice Josse, à l’été 2016, on a fait le constat du très mauvais état du bâtiment, avec un fatras de mobilier, œuvres et archives à déplacer. C’était les écuries d’Augias. La chaufferie était en panne et empêchait que l’on accueille du public, avec des températures de 40° l’été et 5 l’hiver. Il était impossible à la fois de présenter des expositions et de réaliser des travaux indispensables. » En 2019, la ville, propriétaire du bâtiment, refuse de conduire les travaux de réaménagement imaginés par Nicole Concordet. Patrick Bouchain claque alors la porte du CA.
Interrogée, Anne-Marie Charbonneaux affirme : « La situation du bâtiment est sous contrôle, il y a eu des expertises, ça n'est pas un sujet. Les partenaires publics prennent la situation en main. Il y a un flottement dû au départ de Béatrice Josse, qui a déstabilisé les salariées, un comité de suivi a été créé à ce moment-là. Il y avait un conflit de loyauté entre le CA et la directrice, dont nous avons respecté la programmation. Par ailleurs nous restons à l'écoute des salariées, qui ont été invitées aux CA. » Elle annonce qu’elle devrait quitter la présidence du CA d’ici juin prochain. D’ici là, une nouvelle direction sera-t-elle nommée ? « Nous sommes dans la réflexion », affirme-t-elle sans plus de précision.
Les salariées dénoncent un problème structurel, et l’absence de réponses auxquelles a dû faire face Béatrice Josse, qui aurait « frappé à toutes les portes », tandis que le CA a été alerté à sept reprises (lettres du syndicat Asso Solidaires, des déléguées du personnel et de la médecine du travail) depuis septembre 2019, sans que des améliorations soient apportées. Un représentant du syndicat Asso Solidaires, qui a alerté l'inspection du travail, ne rapporte pas de problème dans la gestion de Béatrice Josse, et dénonce « l’abandon des collectivités et un combat politique mené contre la directrice ». Celle-ci aurait plutôt joué le rôle de tampon entre le CA et les salariées : « Une fois qu'elle était partie, il n'y avait plus de rempart, et on a vu les membres de l'équipe partir en burn out les unes après les autres. »
L’État et la ville ont affirmé leur volonté de pérenniser la structure. Dans un communiqué, les partenaires publics (DRAC, Conseil régional, Conseil départemental et ville de Grenoble) se disent « solidaires et soucieux de l’avenir de cet établissement », ajoutant qu’« un temps de réflexion et de concertation doit être accordé à la préparation de cette nouvelle étape ». Depuis plusieurs mois, le site internet du centre d’art, magasin-cnac.org,http://magasin-cnac.org n’est plus actif, l’hébergeur n’ayant pas été payé.