« Correction », « nouvelle réalité », « remise à zéro » : tels étaient les termes utilisés pour décrire le marché de l'art à l'heure où Londres accueillait sa principale foire, Frieze, du 9 au 15 octobre. Il s'agit en fait d'euphémismes pour décrire ce qui, selon la plupart des commentateurs, est une période extrêmement difficile pour le commerce de l'art, avec des ventes aux enchères en baisse, des entreprises qui ferment et des collectionneurs qui réduisent fortement leurs achats.
Ces problèmes ne concernent pas seulement le marché de l'art britannique, mais le marché de l'art mondial. Sotheby's et Christie's ont fait état d'une chute brutale des ventes au premier semestre 2024, de 25 % et 22 % respectivement. Des foires récentes, telles que l'Armory Show à New York et Frieze Seoul (toutes deux appartenant désormais à la même société), ont fait état de ventes tièdes, à des prix nettement plus bas que par le passé. En Chine, l'achat d'œuvres d'art et de produits de luxe est en net recul.
Incertitude
Quelles sont les conséquences de ce déclin du marché en Grande-Bretagne, dont l'impact du vote de 2016 pour quitter l'Union européenne (UE) est toujours en cours d’évaluation ? Le Brexit, par-dessus tout, est considéré comme responsable d'une grande partie des difficultés du marché britannique, en dehors des questions globales. Les professionnels citent les réglementations fiscales et d'importation/exportation, lourdes en termes de temps et de coûts, la paperasserie excessive et la perte de position du pays comme point d'entrée favorable pour l'art vers l'UE, avec son tarif d'importation de 5,5 %. Le galeriste Thaddaeus Ropac affirme : « Le transport maritime est devenu très problématique. Cela prend plus de temps, c'est plus compliqué et plus coûteux. Et si j'apporte une œuvre en Europe et la rapporte à Londres, je ne suis autorisé à le faire qu'à la galerie ou dans un entrepôt, et non au collectionneur comme par le passé. »
En 2023 déjà, l'événement artistique pluridisciplinaire Masterpiece a été annulé par son propriétaire, le groupe MCH (qui gère également les foires Art Basel). L'organisateur a invoqué l'escalade des coûts et la diminution du nombre de marchands internationaux pour justifier cette fermeture. À Londres, les galeries Fold, Vitrine et Addis Fine Art ont mis la clé sous la porte cette année. Rakeb Sile, copropriétaire d'Addis, a attribué la fermeture de son espace londonien aux « coûts indirects » et à « l'incertitude du marché » (elle conserve sa galerie d'Addis-Abeba). Un acteur majeur, Gagosian, a abandonné ses vastes locaux de Britannia Street, et Simon Lee a fait une faillite spectaculaire en février dernier, avec des dettes de quelque 10 millions de livres sterling (environ 12 millions d'euros) auprès de 153 créanciers.
Les ventes aux enchères de l'été 2024 à Londres ont été médiocres. En juin, Sotheby's a réalisé un total au marteau de 71,8 millions de livres (83,6 millions de livres avec les frais, soit environ 99,8 millions d'euros), contre une fourchette d'estimation avant la vente de 76,4 millions à 108,1 millions de livres (91,2 à 129 millions d'euros, sans les frais). Christie's a annulé sa vente du soir d'art des XXe et XXIe siècles, affirmant que cela faisait partie d'une réorganisation plus large de son calendrier. Mais cette annulation de dernière minute témoigne du peu de confiance régnant dans le marché britannique. Enfin, Sotheby's et Christie's ont toutes deux licencié du personnel.
Poches de croissance
Tout n'est pas noir. De nombreuses petites galeries ont ouvert à Londres au cours des deux dernières années – notamment Soup, Chemist, Alice Amati, Incubator et d'autres –, et la Grande-Bretagne conserve sa position de troisième marché de l'art dans le monde, avec une part d'environ 17 %. « Nous observons des poches de croissance, déclare Paul Hewitt, directeur de la Society of London Art Dealers. Il y a certainement une correction des prix dans le haut de gamme, mais jusqu'à 50 000 dollars, le marché semble avoir mieux résisté. De manière anecdotique, nous constatons que les baisses observées aux enchères ne se répercutent pas chez les marchands d'art. »
Mais les difficultés actuelles du marché britannique sont indéniables, et l'on craint que Londres ne perde sa position de plaque tournante au profit de Paris. « Il est clair que l'énergie revient à Paris, qui est resté trop longtemps hors du jeu, déclare Thaddaeus Ropac, qui occupe un grand immeuble à Mayfair, ainsi que deux espaces à Paris. C'est en partie lié au Brexit, mais aussi aux incroyables espaces d'exposition qui ont ouvert dans la capitale française. En ce moment, c'est Paris qui a le vent en poupe. »
Rester absolument
Interrogée sur la manière dont Frieze s'adapte à cette nouvelle réalité, Eva Langret, directrice de l'événement londonien, se disait confiante pour la 22e édition. « Les prix de nos stands n'ont pas changé, mais cette année nous avons introduit une tarification échelonnée pour toutes les galeries participantes », explique-t-elle. Les plus petits stands bénéficient de tarifs inférieurs d'environ 10 % à ceux des plus grands. En outre, la marque Stone Island prend en charge 30 % des frais dans la section Focus.
Quant aux œuvres exposées, sont-elles un peu moins chères et plus faciles à vendre que par le passé ? « Je n'ai pas remarqué cette tendance, mais il est difficile d'en tirer des conclusions pour l'instant », répond diplomatiquement Eva Langret. Ce qui est sûr, c'est que les grands acteurs n'abandonnent pas Londres. Guillaume Cerutti, directeur général de Christie's, affirme que la société « reste absolument » dans ses locaux de King Street. Et Thaddaeus Ropac de s'exclamer : « Quitter Londres ? Jamais ! »