Emma Lavigne, présidente du Palais de Tokyo
« Cette non-réouverture des musées annoncée par le gouvernement, c'est dur pour nous, le "partage du sensible" est absent. Nous aurons terminé l'année au Palais de Tokyo sous le signe de la solidarité, avec le "Palais partagé", un programme mis en place en juin, qui met l'accent sur le care et l'accessibilité auprès des publics dits éloignés. Cela fait partie des lignes de fond que nous souhaitons affirmer au-delà des expositions, en travaillant à des fondamentaux. Ainsi prépare-t-on l'ouverture d'un care center au sein du Palais, un centre de médiation et de partage qui devrait accueillir en continu les personnes en situation d'exclusion sociale ou de handicap. Cette notion de care nous l'appliquons aussi en interne, même à distance. Les salariés ont été maintenus à leurs postes mais pas les prestataires avec qui nous travaillons régulièrement, c'est très violent... Nous voulons développer aussi des projets d'art-thérapie, en accueillant des éducateurs, des enseignants, des foyers de femmes. Autre grande ligne : la responsabilité sociale et environnementale, lancée avant la crise. Financièrement, nous avons perdu des millions d'euros, en billetterie, à la librairie, au restaurant mais également en privatisations, et sommes sous perfusion du ministère de la Culture. Le Palais a besoin de réinventer son mode de fonctionnement. C'est pourquoi nous lançons un cercle de mécènes engagés dans le champ social et écoresponsable. En ce qui concerne les expositions, le rythme de la programmation est fragilisé, elle devient plus organiquement liée à l'institution. L'exposition "Nature morte" d'Anne Imhof, qui devait avoir lieu à l'automne, est pour l'instant reportée à avril 2021, et "Anticorps" va être prolongée après la réouverture. La saison "Réclamer la terre", sur la prise de conscience environnementale (y compris de l'institution en interne), est quant à elle reportée à 2022. Nous réfléchissons de manière active à ce que nous pouvons proposer dans ce contexte, dans un esprit de convivialité, de proximité. Ainsi, pendant le second confinement, le Palais est resté ouvert aux artistes pour des répétitions, des projets filmés, devenant un workshop, une caisse de résonance. L'idée est de garder une flexibilité, que le Palais ne soit jamais fermé, suivant le précepte de John Cage : "Something is always happening." Il nous faut transformer le couvre-feu en veillées. »
Guillaume Piens, directeur de la foire Art Paris Art Fair
« L’année 2020 a été celle de tous les défis, Art Paris ayant été successivement reporté, puis réinventé en ligne avec une première édition 100 % numérique qui s’est tenue de mai à juin, pour renaître physiquement au Grand Palais en septembre. Outre l’épreuve personnelle, je retire plusieurs leçons de cette crise sans précédent : l’orientation régionale de la foire, poursuivie depuis 2012, s’est révélée être un atout en temps de pandémie. Les restrictions de voyages redonnent au local et à la proximité toute son importance et je vois se dessiner un recentrage sur des villes comme Paris qui abritent un exceptionnel écosystème de galeries, fondations, musées et foires et s’appuie sur une véritable tradition de la collection aussi bien publique que privée. Le succès des ventes et de fréquentation – 56 000 visiteurs en 2020 – a également démontré que le modèle des foires régionales a de l’avenir, que le marché de l’art ne s’est pas effondré et qu’il y a en France, contrairement aux idées reçues, un milieu de collectionneurs très actifs même si ceux-ci achètent à des prix moindres que leurs homologues américains ou asiatiques. Les ventes ont été nombreuses dans une moyenne de prix attractifs entre 5 000 et 30 000 euros, avec des pointes à 250 000 euros, démentant les pronostics les plus pessimistes. La tendance est clairement au retour des valeurs sûres et aux petits prix pour les artistes émergents qui sont très affectés ainsi que leurs galeries par la crise. Concernant notre édition numérique, une centaine d'œuvres ont été vendues (notamment via la plateforme mise en place avec Artsy) mais à des prix dans une fourchette allant de 2 500 euros et 15 000 euros. Ma conclusion personnelle : rien ne remplace la foire physique, mais le volet numérique agit en complément. C’est utile pour découvrir les galeries et leurs artistes et c’est devenu un moyen d’information essentiel pour les collectionneurs. Par ailleurs, nous avons décidé d’abandonner le papier pour notre catalogue comme pour notre programme VIP, qui à partir de maintenant ne seront plus diffusés que de manière digitale. »
Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ensad, Paris
« Je vois s’articuler plusieurs types d’expérience dans la séquence – dont nous ne sommes pas encore sortis – qui s’est ouverte avec le premier confinement. La première est une expérience de vérité. Se seront révélées la puissance des logiques virales dans nos vies mondialisées, la contingence et la fragilité du régime néolibéral, la réversibilité dystopique de l’utopie numérique, l’importance vitale du service public et de la présence réelle. On aura aussi pu vérifier que l’école n’est pas une institution abstraite, mais d’abord un lieu et un milieu de vie, et que l’école d’art…