Roselyne Bachelot en France, Dario Franceschini en Italie, Monika Grütters en Allemagne et José Manuel Rodríguez Uribes en Espagne : quatre ministres de la Culture européens qui, face à la pandémie, sont confrontés à une situation presque identique : la mise à l’arrêt de la culture à deux reprises. Cependant, la gestion de la crise laisse apparaître bien des différences, qui vont au-delà de la seule capacité à obtenir des d’aides financières. Elle révèle avant tout leurs visions personnelles de la culture.
La culture, pas une priorité pour l'Espagne
En Espagne, le secteur culturel a exprimé très tôt sa déception. Dès sa première prise de parole au printemps, José Manuel Rodríguez Uribes a déclaré : « Nous n'avons pas mobilisé de fonds spécifiques car nous avons mobilisé des fonds transversaux. Le moment viendra de promouvoir et de redynamiser la culture et le sport. Aujourd'hui, nous devons penser d’abord aux malades, leur sauver la vie et arrêter le virus. Et quand il sera temps, nous ferons tout pour réactiver la culture. » Des mots qui ont fait mal. Pour les avoir relégués comme une des dernières priorités dans la gestion de la crise du coronavirus, Uribes a perdu la confiance des acteurs culturels : « Si notre ministre de la Culture ne nous aide pas, qui le fera ? », se sont-ils demandé. Et l'Union des acteurs et actrices a renchéri : « En plus de montrer un manque évident d'empathie, il ne fait pas son travail. Il ne nous représente pas. » Début mai, José Manuel Rodríguez Uribes a toutefois annoncé un train de mesures urgentes d'une valeur de 76,4 millions d'euros. Pour beaucoup d’acteurs culturels, Uribes est un homme de parti qui sous-estime la gravité de la crise. Membre du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), il est proche du président Pedro Sánchez. Professeur de droit et fan de basket, il a été nommé ministre de la Culture et du Sport le 11 janvier 2020.
Un enjeu majeur pour l'économie italienne
En Italie, c’est un homme politique et un écrivain, avec deux romans à son actif, qui est à la tête du ministère des Biens culturels et du Tourisme. Dario Franceschini occupe cette fonction avec une remarquable stabilité depuis févier 2014, sous différents gouvernements. Depuis son arrivée, il a réussi à augmenter un budget qui figurait parmi les plus faibles dans les pays européens. Dès les débuts de la crise sanitaire, il a promis et distribué des aides, d’abord mi-mars 130 millions d’euros pour le cinéma et du monde du spectacle, puis un déblocage de 20 millions d’euros pour les lieux culturels, ainsi que 13 millions d’euros pour les artistes et les créatifs recevant moins de 20 000 euros bruts par an.
Franceschini défend un secteur dont il sait qu’il représente une part essentielle dans l’économie italienne. Selon lui, la première industrie est le tourisme qui représente 13 % du PIB, une part qui monte à 20 % avec la culture. Cependant, il a été très catégorique face à l’arrêt de la culture. À toutes les demandes émanant du monde de la culture de ne pas fermer en automne les salles de spectacles et de cinémas, il a répondu par la courbe d'infection du Covid-19 : « J'assume personnellement la responsabilité de ce choix. J'ai l'impression que la gravité de la crise n'a pas été perçue à sa juste mesure alors que les risques de contagion étaient réels à ce moment-là. » Cette fermeté a cependant heurté le milieu.
En France, une ministre qui essaie de se faire entendre
En France, après le remaniement gouvernemental, Roselyne Bachelot a rejoint le ministère de la Culture le 6 juillet 2020, remplaçant Franck Riester, fustigé pour son manque d’implication dans la gestion de la pandémie. Âgée de 73 ans, elle est en politique depuis le début des années 1980, et considérée comme un poids lourd. Depuis sa nomination, son parcours est salué par les acteurs culturels. Elle a réussi à obtenir une aide de 2 milliards d’euros quand le ministre des Finances n’en prévoyait que la moitié, de même pour le budget général de son ministère pour 2021 pour lequel elle a obtenu 3,82 milliards d’euros, soit une hausse de 4,8 %.
Mais ces derniers temps, cette passionnée d’art lyrique a subi quelques revers. Elle a vainement réclamé un assouplissement des mesures de couvre-feu pour les salles de spectacle et de cinéma qui ont dû fermer à 21 heures, avant d’être contraintes à la fermeture totale peu de temps après avec l’ensemble des musées et des galeries pendant le deuxième confinement de novembre. Même déconvenue pour les librairies qui ont dû rester fermées comme d’autres commerces considérés comme non essentiels. Cependant, ses efforts et sa combativité ne sont nullement mis en doute.
L'Allemagne championne des aides à la culture
En Allemagne, les relations entre Monika Grütters et le milieu de la culture sont au beau fixe. Pour elle, la culture n’est pas un luxe dont on peut se passer dans les moments difficiles, et est même essentielle à la démocratie du pays. « La culture n'est pas un délice pour les gourmets, mais du pain pour tout le monde », soutient-elle. Pourtant, les musées allemands restent fermés avec le durcissement des restrictions sanitaires.
Le secteur culturel a été l’un des principaux bénéficiaires du plan de soutien de 50 milliards d’euros que le gouvernement a lancé fin mars. D’autres initiatives ont été prises depuis, comme le programme d’aide d’un milliard d’euros appelé « Neustart Kultur » (nouveau départ pour la culture). Son engagement est sans faille. Elle a même exhorté ses collègues des 16 Länder à mettre en œuvre des mesures prévues au niveau fédéral pour les indépendants travaillant dans les industries culturelles et créatives. Celles-ci prévoient pour la première fois une aide directe pouvant aller jusqu'à 5000 euros pour tous ceux qui subissent les restrictions liées à la gestion de la crise du coronavirus en novembre.