« Chez les Verts, on parle davantage de permaculture que de culture », ironisait en juin le quotidien Libération. En novembre, la charge de l’hebdomadaire Télérama contre les élus Europe Écologie Les Verts (EELV) n’était pas moins sévère, fustigeant leur repli régionaliste, leur naïveté à la Bouvard et Pécuchet, leur goût candide pour « un art convivial ». Entre le monde de la culture, qui a majoritairement voté écologiste aux dernières municipales, et les Verts, la lune de miel semble avortée avant même d’avoir été consommée. « Il y a autant de stéréotypes qui circulent du côté de la culture à propos des écolos que du côté de l’écologie à propos de la culture et en particulier sur l’art contemporain, regrette Alice Audouin, consultante et fondatrice d'Art of Change 21. Ces deux univers se connaissent mal et se comprennent mal. » La pandémie du Covid-19 aurait pourtant pu les réunir. Partout, les acteurs culturels estiment que la crise sanitaire et économique débouchera sur une offre plus réduite, plus sobre, moins chère, ancrée dans le quartier, la ville, la région. En bref, les ingrédients qui composent le socle idéologique des écologistes. Un socle qui, malgré les nuances d’une municipalité à l’autre, est composé de quelques constantes. Ainsi du refus de la culture comme outil d’attractivité économique, « une obsession socialiste », grince Pascale Bonniel Chalier, ancienne élue EELV de Lyon en charge des grands événements. Cité par Télérama, Dimitri Boutleux, adjoint chargé de la création à Bordeaux, regrettait ainsi « le rayonnement papier glacé » de la ville.
Au marketing territorial, les militants EELV opposent la revendication des droits culturels, qui figure dans la loi NOTRe et la loi LCAP. Autrement dit, « une conception des politiques culturelles qui se voudrait plus ascendante, moins descendante, en privilégiant notamment les pratiques amateurs », décrypte Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles. Exit donc les solutions toutes faites verticales, place à une culture pensée par et pour les usagers, avec une forte dimension participative. Jean-Marc Coppola, adjoint culture à la mairie de Marseille, préconise ainsi « des rencontres mensuelles entre le public et les acteurs culturels ». « On impose la culture aux gens sans leur donner le choix, sans écouter leurs cultures, or nous sommes dans la co-construction », affirme ainsi Pascale Bonniel Chalier. Le constat est clair : si la fréquentation globale des équipements culturels a explosé ces dernières années, ce sont les mêmes qui en profitent.
Cette posture anti-élitaire, aux accents populistes, se nourrit ça et là de soupçons de clientélisme et de préjugés envers les institutions, considérées comme dispendieuses et de fait dans le viseur des municipalités vertes. À Lyon, on annule ainsi la reconversion prévue du musée Guimet en lieu de danse. L’Opéra, dont l’ancien directeur avait été épinglé par la cour régionale des comptes pour ses frais de bouche, est sur la sellette. À Poitiers, le festival « Traversées » est jugé trop « parisien ». C’est oublier qu’une ville a besoin de théâtres, de musées prestigieux. Et que ces derniers jouent leur partition dans la démocratisation culturelle. Mais, quand l’argent manque, le choix des Verts est vite fait en faveur du socio-culturel. « Nous ne sommes pas des gens malfaisants qui voudraient torpiller les institutions, proteste Pascale Bonniel Chalier. Il y a un déséquilibre parfois des moyens alloués à des institutions hors sol qui n’assument pas leur mission d’intérêt général. » Rien de nouveau dans le constat ni de révolutionnaire dans les réponses. Ainsi du programme Culture(s) d’Éric Piolle aux dernières municipales à Grenoble, signalant parmi ses points forts le maintien du 1 % artistique dans les chantiers... Quant aux artistes, ils sont invités à être citoyens et animateurs sociaux en résidence dans les écoles. « Cela fait 15 ans qu’on accuse les écologistes de vouloir instrumentaliser les artistes, les "rallier à la cause", cela fait 15 ans que je trouve cette accusation infondée, soupire Alice Audouin. Les artistes engagés s’intéressent avant tout à leur époque et il se trouve que notre époque est traversée par ce phénomène sans précédent qu’est la crise écologique et climatique. » S’il est prématuré de conspuer les politiques culturelles, encore balbutiantes, des nouvelles municipalités vertes, elles seront à l’avenir examinées à la loupe. Car les attentes, comme l’enjeu, sont grands : la culture représente 25 % du budget de Strasbourg et 20 % à Bordeaux, deux villes conquises par EELV.
À Grenoble, la méfiance des acteurs culturels
« Un cocktail, un bazar, un agglomérat de pièces hétéroclites, foutras idéologiques. » Dans une tribune publiée en 2016 par Libération, le metteur en scène Joël Pommerat n’avait pas de mots assez durs pour fustiger la politique menée par le maire de Grenoble Éric Piolle, élu deux ans plus tôt, et son adjointe à la culture de l’époque, Corinne Bernard. Du jour au lendemain, l’édile avait supprimé la subvention de 438 000 euros de la formation classique des Musiciens du Louvre, arguant qu'elle disposait d’un fonds de réserve de 400 000 euros, baissé la dotation de la prestigieuse Maison de la culture MC2 (dont la gestion est depuis 2016 transférée à la Métropole), fermé deux annexes de bibliothèques de quartier. L’idée ? « Casser l’héritage Malraux-Lang », se vante la mandature. Pas mieux pour instaurer un climat de méfiance des acteurs culturels. « La nouvelle équipe municipale est arrivée dans une ville endettée, avec des préjugés et des malentendus, estimant que les acteurs culturels étaient privilégiés, que les institutions ont fabriqué une culture de niche pour les plus favorisés », regrette Jean-Pierre Saez.
Au cours du premier mandat, le théâtre municipal a changé de braquet, la municipalité jugeant ses spectacles de boulevard trop coûteux et peu locaux avec un public à 69 % non grenoblois. La refonte de la programmation n’a, pour autant, pas fait ses preuves, la fréquentation étant plus basse que par le passé. Le bilan n’est pas reluisant du côté du Magasin rebaptisé Magasin des Horizons depuis 2016. Plus d’expositions d’art contemporain, qui faisaient l’ADN du centre d’art, mais un programme indéfini, avec des cours de jardinage, de yoga, des chefs en résidence. Quant au musée de Grenoble, dont les collections sont parmi les plus belles en région, il a dû baisser la voilure de ses expositions. Le Journal des Arts rapportait même en septembre que le budget d’acquisition du musée des Beaux-Arts était passé de 230 000 euros en 2015 à 10 000 euros en 2020. « Faux », affirme Lucille Lheureux, nouvelle adjointe à la culture, fatiguée « qu’on s’appuie sur 2014 pour juger de ce qui se fait en 2020 ». Et de préciser que « le budget de fonctionnement du musée est constant depuis 2018 (2,3 millions d’euros) et son budget d’acquisition était de 270 000 euros en 2020 ». Parmi les projets de la nouvelle mandature, qui consacre 10 % de son budget à la culture, soit 31,7 millions d’euros, un musée des migrations aux contours encore flous ainsi que des résidences d’artistes dans les équipements de la ville.
Les villes moyennes en quête de vision pour la culture
Le groupe EELV a connu un moment historique lors des dernières élections municipales, prenant non seulement des grandes villes comme Lyon et Bordeaux, mais aussi d’autres plus petites (Tours, Besançon, Annecy, Poitiers, Colombes…). Ces dernières ont montré que les problématiques culturelles n’étaient pas au cœur des programmes des candidats et candidates. Ainsi si les pistes cyclables, les repas bios ou la solidarité reviennent souvent, les propositions fortes pour la culture sont rares. Plusieurs surfent sur la vague de l’événementiel, comme les « Dimanche culturels » et les festivals de rue à Besançon, avec la nouvelle élue Anne Vignot, ou les « tiers lieux » accueillant des manifestations ponctuelles à Annecy, où a été élu François Astorg (Divers Écologie), qui pour sa part annonce la création d’une cité du cinéma d’animation, en lien avec le festival.
Dans son programme de campagne, le nouveau maire de Tours Emmanuel Denis propose un « Pacte pour la culture » comprenant un « musée éphémère des arts populaires confinés qui valorisera les pratiques artistiques amateurs pendant la période de confinement ». Plus concrètement, l’écologiste évoque un « un fonds d’aide spécifique pour sauver les structures culturelles impactées par la crise ». À Poitiers, la jeune maire Léonore Moncond'huy, 30 ans, entend favoriser une certaine horizontalité des projets culturels plutôt que céder à l’événementiel. Ainsi son programme associe-t-il culture, éducation et démocratisation des structures, qu’elle veut ouvertes à tous et à toutes les pratiques, ainsi que le soutien aux maisons de quartier. Son souhait d’une évaluation de la première édition de la biennale d’art contemporain « Traversées », organisée fin 2019 dans divers lieux de la ville, indique une certaine méfiance vis-à-vis de ce type d'évènement, dont le coût, selon le quotidien Centre Presse, est estimé à 1,4 million d’euros.
Élue grâce à une coalition de gauche dans une ville, Marseille, particulièrement touchée par les inégalités, Michèle Rubirola, membre d’EELV, veut quant à elle, plutôt qu’un saupoudrage de manifestations hors sol, favoriser les cultures déjà présentes, comme le hip-hop, soutenir les maisons de la culture ou encore ouvrir des ateliers et créer des résidences, dans une logique de maillage qui replace la culture dans le quotidien de chacun.
À Strasbourg, des arts et des cultures
« L’équipe municipale en place est très attachée à la culture, affirme d’emblée l’adjointe à la culture de l’eurométropole Anne Mistler. La maire Jeanne Barseghian est engagée pour ce secteur. » Pourtant, son programme à la course au municipales semblait un peu léger dans le domaine et comportait seulement quelques points : développer une politique touristique responsable (en particulier pour le marché de Noël), maintenir l’offre cinématographique de proximité et promouvoir de nouvelles formes de création artistique par la mise à disposition de locaux… Mais aussi « garantir un accès à la culture pour toutes et tous en facilitant les interventions et créations artistiques dans l’espace public et en développant les projections de films en plein air » et « porter candidature de Strasbourg au label Capitale mondiale du livre ». Élue avec 41,70 % des voix, la nouvelle maire féministe et anti-raciste « appréhende la culture de manière transversale, décrit Anne Mistler. Elle a associé au pôle culture des adjoints ayant d’autres types de responsabilités, dont un en charge de la lecture publique et une autre des pratiques amateurs ». En effet, avec un taux de pauvreté à 25 % dans la capitale alsacienne, la maire et son adjointe tendent vers davantage d’inclusivité du secteur et entendent, pour cela, développer les pratiques artistiques amateurs : « Il y a des arts et des cultures », poursuit Anne Mistler, qui refuse toute hiérarchisation.
Côté patrimoine, la ville prévoit de se pencher sur le cas de l’Opéra national du Rhin et du Théâtre Alsacien et de réfléchir à une potentielle rénovation-extension ou à une nouvelle construction. Priorité du mandat de la nouvelle maire, ce projet devrait se faire « dans un souci écologique », affirme Anne Mistler. « Les institutions culturelles et musées ne nous ont pas attendus pour réfléchir à la durabilité de leurs équipements mais nous devons continuer de les accompagner au mieux sur ces questions. »
Lyon mise sur la création
Maire de Lyon pendant près de 20 ans, de 2001 à 2020 (avec une interruption d’un an en 2017-2018 alors qu’il était ministre de l’Intérieur), Gérard Collomb a vu sous ses mandats de nombreux événements et lieux culturels prendre de l’ampleur : biennales d’art contemporain et de danse, musée des Confluences inauguré en 2014 (l’aménagement du quartier de la Confluence ayant été lancé par son prédécesseur Raymond Barre), Maison de la Danse et Opéra de Lyon, avec la Fête des Lumières comme grand raout annuel. En 2013 cependant, Marseille lui est préférée au titre de capitale européenne de la culture, et un an plus tard ferme le musée des Tissus, sauvé, entre autres, par la région Rhône-Alpes.
Avec un budget de 105 millions d’euros, la culture représente environ 20 % du budget de fonctionnement de la mairie. « Un chiffre maintenu », annonce Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe à la culture du nouveau maire Grégory Doucet (EELV). Celle-ci a cependant constaté « un budget figé depuis des années, préempté par quelques grandes structures et services, comme l’Opéra et les bibliothèques », et auquel elle souhaite « redonner du mouvement, en favorisant notamment la création ». Mais aussi un saupoudrage de grands événements (« les arbres qui cachent le désert », souligne-t-elle) et le mauvais état des bâtiments municipaux, de l’Auditorium aux Subsistances, jamais achevées. Nommée le 4 juillet, la nouvelle adjointe a cependant dû d’abord traiter l’urgence, à savoir les conséquences économiques de la crise sanitaire sur le secteur culturel. Le 30 juillet était voté un fonds d’urgence de 4 millions d’euros, réparti entre les structures (en particulier les compagnies de spectacle vivant), les lieux (cinémas, théâtres, galeries, salles de concert…) et 80 artistes (avec des aides individuelles de 3000 à 5000 euros).
Un soutien qui se poursuivra au premier trimestre 2021, avec notamment des commandes pour l’espace public. Celles-ci entrent dans le cadre d’un soutien net à la création, avec des résidences et l’ouverture d’ateliers. « Après avoir fait leurs études dans nos excellentes écoles d’art, de cinéma ou de danse, les artistes partent pour Paris ou Marseille, déplore Nathalie Perrin-Gilbert… Nous voulons les retenir sur le territoire. » Un territoire que l’adjointe, enthousiaste, veut voir parsemé d’œuvres d’art, « des enceintes sportives aux parcs et aux lieux de la vie quotidienne ».
À Bordeaux, privilégier le local et retrouver la confiance
« Nous ne sommes pas obnubilés par la question du rayonnement », déclare Dimitri Boutleux, adjoint au maire de Bordeaux, chargé de la création et des expressions culturelles. La priorité de l’équipe municipale est le bien-être du secteur culturel bordelais, particulièrement touché et fragilisé pendant la crise sanitaire. « Nous nous intéressons aux conditions de logements de artistes, à leurs conditions de travail dans une ville qui manque cruellement d’espace. Ces questions, nous les abordons de manière transversale, aux côtés de la personne en charge des questions d’urbanisme à Bordeaux. » Pour Dimitri Boutleux et le maire, Pierre Hurmic, l’un des plus grands chantiers de ce mandat est celui de « la reconquête de la confiance entre les politiques et la culture » : une telle confiance passerait par davantage de transparence sur les financements et subventions allouées par à la ville. « Le maire souhaite passer des commandes publiques. Une majorité du budget du sapin de Noël va être allouée à la création d’un mapping interactif », détaille Dimitri Boutleux qui réfléchit à un refléchage au sein du budget culturel : « Certaines choses nous coûtaient cher (comme le sapin de Noël), nous allons les réorienter. »
Autre point important pour la municipalité : « Exiger une vraie mission de service public de la part des opérateurs culturels, poursuit l’adjoint à la culture. Il faut qu'ils proposent des projets pédagogiques, des expositions ou événements hors-les-murs, qu’ils soient davantage en lien avec les écoles… » Le tout, en gardant à l’esprit « un travail de fond à faire sur l’empreinte carbone » des établissements culturels. L’avènement de cette culture plus verte va d’ailleurs de pair, selon Dimitri Boutleux, avec ce qu’il appelle un « endémisme culturel ». L’ancien paysagiste développe : « L’endémisme c’est lorsqu'une espèce se trouve dans un lieu donné car ses facteurs de développement n’existent que là. » Et de poursuivre : « Quand on va quelque part, c’est parce qu’on veut y trouver quelque chose d’unique : une singularité gastronomique, culturelle… On ne peut pas lisser, homogénéiser toute la culture. » Se concentrer sur un circuit court culturel qui ferait appel davantage aux acteurs et actrices locaux du secteur ne serait ni naïf, ni chauvin, selon Demitiri Boutleux et permettrait, ensuite, « au rayonnement de se faire tout seul ».