C’est un projet que Bernard Faivre d’Arcier, ancien directeur du festival d’Avignon, porte depuis longtemps : le label « capitale française de la culture », officialisé dans un décret paru le 8 octobre au Journal Officiel. Destiné aux villes moyennes (de 20 000 à 200 000 habitants), il devrait être distribué à une commune tous les deux ans. « Roselyne Bachelot souhaite être la ministre des territoires, décrit Noël Corbin, inspecteur des affaires culturelles. Elle veut montrer que le rayonnement culturel français international peut aussi venir des régions et des villes moyennes. » La première édition se tiendra en 2022 et la ville sélectionnée recevra un million d’euros (de la part du ministère de la Culture et de la Caisse des Dépôts) afin de réaliser son projet. Pour le moment, l’heure est à l’organisation. « À la fin de l’année 2021, nous serons en mesure de désigner la toute première », précise Noël Corbin.
De toute évidence, les porteurs du projet ont en tête le label « capitale européenne de la culture », lancé en 1985 par les ministres de la Culture grecque, Melina Mercouri, et français, Jack Lang, décerné à plus de 50 villes. L’enjeu est grand : économique, avec un afflux de fonds européens, mais aussi symbolique, pour les villes désindustrialisées telle que Mons, ancienne cité charbonnière, plombée par un taux de chômage de 20 %, promue capitale européenne de la culture en 2015. Le titre offre aux municipalités l’opportunité de redorer leur image – ou de s’en créer une, en accéléré. Pour le New York Times, obtenir cette appellation, « c’est un peu comme se voir attribuer les Jeux olympiques ».
Les composantes de ces grands raouts, qui visent avant tout des retombées positives en termes d’économie et d’image de marque, sont partout les mêmes : la culture, l’urbanisme, le tourisme et le marketing territorial. Mais, depuis une dizaine d’années, la dimension économique et urbanistique a tendance à prendre le pas sur le caractère originellement festivalier. À ce titre, « Essen for the Ruhr », en Allemagne en 2010, est exemplaire. La collaboration de 53 municipalités de la Ruhr a précipité le lancement d’investissements sur le territoire, dont l’extension du musée Folkwang d’art moderne à Essen ou la transformation d’une ancienne brasserie en un complexe créatif, à Dortmund. Les responsables de l’opération ont aussi joué la carte du multiculturalisme, en construisant à la fois une nouvelle mosquée à Marxloh et une maison de la culture juive à Essen.
Un label de grandes métropoles ?
À quelques exceptions près, ce label européen semble distinguer des villes à l’aura internationale. Ce fut le cas des villes françaises : Paris, Lille, Marseille sont de grandes métropoles qui, avant la crise sanitaire, faisaient affluer vers elles un bon nombre de touristes. Quant à Avignon, son célèbre festival de théâtre faisait déjà son attrait lorsqu’elle a été labellisée en 1999. « Après les candidatures de grandes métropoles, le temps des capitales culturelles européennes de moindre échelle est venu », affirme Olivier Bianchi. Maire de Clermont-Ferrand depuis 2014, il poursuit : « Aujourd’hui, en Europe, il y a un fort maillage de métropoles de taille moyenne qui sont des centres de création et de recherche cohérents, et offrent un regard sur la culture aussi complet que celui proposé par des villes comme Paris, Berlin ou Londres ». Il en est d’ailleurs persuadé, Clermont-Ferrand a les épaules pour devenir capitale européenne de la culture en 2028. Et Olivier Bianchi de préciser : « Si c’est la ville qui doit porter la candidature, le terrain de jeu peut être plus large : nous avons souhaité qu’il se fasse à l’échelle du Massif central. Cela nous permet de montrer que nous sommes sur tous les fronts disciplinaires avec le design, l’art contemporain, la musique, l’archéologie… » Le travail est de longue haleine. Entre 2014 et 2020, le maire et ses équipes ont voulu « rendre légitime l’idée que Clermont-Ferrand peut être la prochaine capitale européenne de la culture en France ». Pour ce faire, la ville a mis en place le rendez-vous Effervescences en 2018. L’événement – qui a coûté 1,2 million d’euros – a été fréquenté par près de 50 000 personnes. Après une seconde édition en 2019, la ville a décidé de se concentrer, en 2020, sur le lobbying de sa candidature au label capitale européenne de la culture afin de montrer que « les zones rurales, qu’on appelle aussi parfois zones blanches ou périurbaines, sont aussi des territoires de culture », conclut Olivier Bianchi.
Baby blues
Une fois le précieux label décroché, les collectivités n’hésitent pas à se mettre en quatre. Et à miser sur des valeurs sûres, au risque d’une certaine uniformisation. Quand les « capitales » mettent le paquet, les retombées, touristiques comme économiques, sont souvent au rendez-vous. En 2008, Liverpool se targuait de 9,7 millions de visiteurs supplémentaires, tandis que Marseille comptabilisait 2 millions de touristes en plus en 2013. Pour la seule journée de lancement de Lille 2004, 730 000 personnes ont déferlé dans les rues. Côté financier, Liverpool se vante d’un retour sur investissement de 753,8 millions de livres sterling. Pour que la mayonnaise prenne, plusieurs ingrédients doivent être au rendez-vous : un leadership politique fort et une structuration territoriale déjà bien avancée. Aussi les capitales culturelles comptent aussi quelques loupés. Le bilan de Vilnius 2009 fut ainsi en demi-teinte. Et pour cause : le budget et le personnel furent sabrés à la suite d’une alternance politique sur laquelle est venue se greffer la crise. Porto, en 2001, a loupé le coche pour d’autres raisons : les bases d’une vraie mutation urbaine n’avaient pas été préalablement posées. À l’ouverture, les visiteurs se sont trouvés confrontés à des chantiers inachevés.
Alors que le Covid-19 est désormais largement présent sur le territoire européen, il semble difficile de se projeter dans un tourisme culturel international. Aussi Bernard Faivre D’Arcier insiste surtout sur le fait que les villes labellisées devront aussi s’engager à ne pas ralentir leur dynamisme culturel une fois l'édition terminée. Or l’expérience le montre, pas simple de transformer l’essai. « Essen for the Ruhr » y est parvenu en pérennisant les programmes culturels et les financements au-delà de 2010. Pour garder la flamme et fidéliser les sponsors, Lille 2004 a enfanté, 18 mois plus tard, du festival Lille 3000. Peu d’éditions évitent toutefois le baby blues. À Marseille, malgré la refonte plutôt réussie de l’ex-zone portuaire, le soufflé est retombé. Sans doute faut-il, aussi, arrêter de croire aux miracles.