« À chaque fois qu’on se croisait, je redoutais cette bise qui me mettait toujours mal à l’aise malgré ces airs sympathiques et le déguisement de la petite école où tout le monde connaît tout le monde. » Le témoignage, livré fin septembre sur les réseaux sociaux parmi d'autres plus violents, provient d'une association, Balance ton école d'art, lancée par des élèves et ex-élèves de l'ISBA, école d'art de Besançon. Depuis, un autre compte Instagram, @Balancetonecoledart_Marseille, a été créé, tandis qu'un appel à témoins a été lancé par le procureur de la République de Besançon Etienne Manteaux, qui a déclaré à l'AFP : « Les dénonciations anonymes sont importantes pour débloquer la parole et se rendre compte qu'on n'est pas seul. Mais ce n'est qu'une étape, ensuite on a besoin de dépositions ». En France, une étudiante sur 20 a été victime de viol, une sur 10 d’agression sexuelle, selon une enquête dans l’enseignement supérieur publiée le 12 octobre par l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur. S'il peut sembler anecdotique aux tenants du « droit à importuner », le témoignage apparaît bien familier à celles et ceux qui fréquentent les écoles d'art et plus généralement le milieu de l'art, en France, où le harcèlement et les violences sexuelles, pouvant aller de la drague lourde aux discriminations de genres (voire au viol ?), seraient fréquents mais semblent rarement condamnés ou rendus publics. Aux États-Unis, de telles conduites valent à leurs auteurs, depuis de nombreuses années, sanctions et renvois, comme récemment celui de Bill Arning, directeur du Contemporary Arts Museum Houston.
Les écoles d'art en première ligne
Quel recours face au comportement prédateur du curateur qui propose un verre tard le soir à une jeune artiste, du collectionneur qui harcèle par SMS ou du professeur qui invite à une visite d'atelier en tête-à-tête, porte close ? Dès leur entrée dans le milieu de l'art, poussant la porte de l'école, des jeunes femmes et hommes se retrouvent confrontés, de manière systémique, à des situations d'abus – sexistes et sexuels mais aussi racistes, homophobes, validistes ou transphobes. Les raisons à cela rejoignent celles que nous énoncions au sujet du harcèlement moral au travail (lire l'Hebdo du 1er mars 2019), auxquelles s'ajoutent des dynamiques de domination masculine (y compris entre étudiants) ancrées dans l'imaginaire du « génie » tout-puissant, un sentiment d'impunité associé à la glorification de l'artiste-professeur et un entre-soi qui a pour conséquence d'étouffer les affaires, de recaser les personnes toxiques ou de les mettre à la retraite, sans qu'elles soient plus inquiétées. Secrets de Polichinelle, processus lents et manque d'actions concrètes n'aident pas à instaurer la confiance. « On se retrouve souvent seul face à des problèmes juridiques et réglementaires auxquels il faut des réponses techniques », déplore Joan Ayrton,…