Le Quotidien de l'Art

Le monde de l'art repense le voyage

Le monde de l'art repense le voyage
Christian Boltanski, Animitas, 2014, installation dans le désert d'Atacama, Chili.



© Christian Boltanski/Courtesy Christian Boltanski et Marian Goodman Gallery.

Du jour au lendemain, l'épidémie de Covid-19 a figé un monde de l’art habitué à se mouvoir dans le monde. L’occasion pour le secteur d’une prise de conscience écologique et d’une modification des manières de voyager ?

« Je suis très malheureux ». L’artiste Christian Boltanski le dit sans détours, être cloué à Paris, ce n’est pas du tout, mais du tout, sa tasse de thé. Habituellement, l’artiste français se rend au moins deux à trois fois par an au Japon, régulièrement en Argentine où il a multiplié les projets ces dernières années. La perspective d’un séjour à New York l’enchante. A chaque fois il pose ses bagages pour plusieurs jours voire des semaines, pour peaufiner l’installation de ses œuvres. Ces voyages transatlantiques, c’était jusqu’à présent plus qu’un plaisir, un oxygène. Ses déplacements étaient aussi les insignes d’un artiste mondial, dont la notoriété dépasse le cadre hexagonal. « C’est le voyage qui vous fait ou vous défait », écrivait déjà en 1963 Nicolas Bouvier dans L’Usage du monde

Pour l'artiste Laura Henno également, rester à quai est une grande frustration. Les voyages, les rencontres qu'ils engendrent et le contact humain sont au cœur de son travail. Depuis 2013 elle part chaque mois d'août à Mayotte et aux Comores, où elle filme et photographie des jeunes gens en situation de grande précarité, pour des projets au long cours. Lauréate du prix SAM Art, qui doit l'aider à financer son film, elle a dû reporter le tournage cet été (et l'exposition au Palais de Tokyo qui devait suivre début 2021). « Je travaille en immersion sur des périodes longues, je n'ai pas un travail d'atelier, raconte Laura Henno. Beaucoup de choses adviennent sur place et sont imprévisibles. J'ai des axes de travail, mais je ne peux pas écrire tout à l'avance. » Les relations maintenues d'année en année sont difficiles à entretenir à distance : « Je dois gérer la frustration des jeunes qui sont impliqués dans le projet, garder leur confiance alors qu'ils sont eux-mêmes instables et peuvent s'évaporer dans la nature ». En attendant, l'artiste revisionne des rush, avance sur l'autre projet qu'elle mène en parallèle, autour de la communauté nomade de Slab City, en Californie, et espère partir en octobre à Mayotte, si les conditions sanitaires le permettent. 

Pour les créateurs, le voyage a longtemps été lié à l’apprentissage, le fameux Grand Tour en Italie au XVIIe siècle ou les séjours en Orient au XIXe en quête d’inspiration et de transformation intérieure. De la boîte en valise de Marcel Duchamp à Sur la route de Jack Kerouac, le déplacement est aussi devenu déterminant dans la création artistique du…

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Article issu de l'édition N°1996