Le Quotidien de l'Art

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Pas (encore) de retour à la normale pour les musées italiens

Pas (encore) de retour à la normale pour les musées italiens
Visite masquée de l'exposition « Raphaël 1520-1483 » aux Écuries du Quirinal, Rome.


© Alberto Novelli.

Sans touristes étrangers – les frontières ayant rouvert seulement le 3 juin – les musées italiens se visitent masqué, désinfecté... et parfois même chronométré. Masque scellé au visage pendant toute la visite, sonnerie annonçant le temps écoulé dans une salle avant d'accéder à la suivante, marquage au sol pour se tenir éloigné... Sonia et Massimo ont été parmi les premiers visiteurs de l'exposition « Raphaël 1520-1483 » aux Écuries du Quirinal, à Rome. Close trois jours après son inauguration en mars dernier, celle-ci a rouvert le 2 juin (jour férié en Italie pour la fête de la République) et sera prolongée jusqu'au 30 août avec des horaires plus généreux (9h-22h). « Après trois mois enfermés, c'est exaltant de retourner au musée, mais un peu oppressant dans ces conditions... Les cinq minutes imposées paraissent trop longues dans certaines salles et trop courtes devant des chefs-d'œuvre comme La Fornarina », témoigne le couple, catalogue de l'exposition sous le bras. 

Réservation obligatoire sur Internet, prise de température à l'entrée, port de gants dans les boutiques, nombre de visiteurs limité... Avec ces nouvelles normes post-Covid-19, musées et galeries d'art ont rouvert en Italie en ordre très dispersé. Ils étaient autorisés à le faire dès le 18 mai mais peu, comme la Galleria Borghese et la Galleria nazionale d'arte moderna e contemporanea (GNAM) à Rome, s'y sont risqué. « Même s'il n'y a eu qu'une cinquantaine de visiteurs le premier jour, symboliquement, c'était important d'honorer cette date, de sortir de l'immobilité », raconte d'une voix douce Cristiana Collu, directrice de la GNAM. Palettes de bois formant la question « Open ? » à l'entrée, ruban de chantier rouge et blanc pour guider les visiteurs, nom de l'exposition temporaire « À distance rapprochée » comme griffonné au mur à la va-vite : « Nous avons voulu donner une impression de provisoire, avec des aménagements qui s'enlèvent rapidement, pour souligner le caractère espérons-le exceptionnel de tout cela… »

Exception

« Fermer est facile mais rouvrir s'apparente à courir dans un champ de miel !, réagit depuis Milan James Bradburne, le directeur de la Pinacothèque de Brera, dont les portes ouvriront vers la mi-juin. Il a fallu discuter avec les équipes, les syndicats ; comprendre des kilos de décrets entre ceux de l'État, de la région et de la Ville ; choisir le bon savon, ne pas exposer le personnel vulnérable de plus de 60 ans (nombreux en Italie) ; attendre la livraison du détecteur de température... » Lui comme d'autres rappellent que l'employeur court le risque d'être poursuivi au pénal en cas de contamination d'un employé sur le lieu de travail.

La reprise se fait donc sans précipitation. À Rome, près du Tibre, le MAXXI a ouvert graduellement. D'abord sa bibliothèque, puis le musée seulement le week-end, et enfin normalement le 2 juin. Jusqu'au 18 juin, il a baissé le prix du billet à 5 euros... sans pour autant attirer les foules : « Le nombre de visiteurs est naturellement très faible, étant donné que les touristes représentent plus de la moitié de notre public, que les écoles sont fermées et que la situation reste compliquée pour tout le monde ». Selon l'Institut national de la statistique italien, les musées et sites archéologiques nationaux ont perdu 19 millions de visiteurs pendant les trois mois de fermeture et la saignée va se poursuivre. Mais le sémillant directeur de Brera veut croire que le côté « casse-pied » des nouvelles procédures d'entrée peut engager plus le visiteur : « Il ne viendra plus au musée pour flâner sans but, il préparera mieux sa visite et celle-ci sera plus inoubliable. »

La crainte est encore au rendez-vous. Surtout dans les zones très touchées par l'épidémie comme la Lombardie (plus de 16 000 décès sur les 33 000 au niveau national le 2 juin). « Il y a encore peu de public et je dois dire que cela nous va bien en termes de sécurité !, confie Anna Maria Montaldo, directrice du Museo del Novecento et de la Galleria d'Arte Moderna à Milan. Au moins, les visites ont un goût d'exception. » « Les personnes mettront du temps à retrouver le courage de sortir », présage-t-on à la galerie milanaise Carla Sozzani, 30 ans cette année. En écho à ces temps difficiles y sont exposés depuis la réouverture, le 23 mai, 40 dessins de l'artiste américain Kris Ruhs réalisés pendant la quarantaine. 

Pas question d'accrochages clins d'œil à cette période à la galerie Contini, à Venise. « Il faut plutôt chercher à l'oublier ! », rigole son patron, Stefano Contini, dont les affaires ont été ralenties par le blocage des transports internationaux. « Nous avons poursuivi nos activités sur Internet, pris des réservations pour le moment où nos clients étrangers pourront à nouveau venir nous visiter. Le collectionneur est drogué à l'art, dans un tel moment de dépression, accueillir chez soi une nouvelle œuvre procure la même joie qu'un fils rentrant à la maison. Je ne m'inquiète donc pas trop pour l'avenir... » Afin de faire parler de la galerie, il a quand même fait imprimer 10 000 masques représentant les œuvres de 20 de « ses » artistes (Botero, Manolo Valdès, Igor Mitoraj...). Chez Lia Rumma, à Milan et à Naples, on entre aussi masqué, et uniquement sur rendez-vous. On se prend à rêver de finissages en octobre, « si la situation sanitaire le permet ». Prudence toujours. 

La réouverture de la Loggia des Lanzi de Florence au public.
La réouverture de la Loggia des Lanzi de Florence au public.
© Uffizi Galleries.
Les marquages de distanciation sociale devant La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli à la la Galerie des Offices, Florence.
Les marquages de distanciation sociale devant La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli à la la Galerie des Offices, Florence.
© Uffizi Galleries.
Les marquages de sécurité à la Galerie nationale d'Art moderne et contemporain (Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea), Rome.
Les marquages de sécurité à la Galerie nationale d'Art moderne et contemporain (Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea), Rome.
© Photopress/Valentina Cornacchione.
Cristiana Collu près d'un des Liosn en bronze de Davide Rivalta.
Cristiana Collu près d'un des Liosn en bronze de Davide Rivalta.
© Alessia Tobia.
Davide Rivalta, Lions en bronze, 2016 et Martí Guixé, OPEN!, 2020, devant la Galerie nationale d'Art moderne et contemporain (Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea), Rome.
Davide Rivalta, Lions en bronze, 2016 et Martí Guixé, OPEN!, 2020, devant la Galerie nationale d'Art moderne et contemporain (Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea), Rome.
© Monkeys VideoLab.

Article issu de l'édition N°1967