Malheureusement, l'ingérence politique dans les institutions artistiques a une longue tradition en Pologne. Les musées polonais, principalement financés par le budget de l'État ou les collectivités territoriales, n'ont jamais été vraiment autonomes. Le ministre dispose de multiples outils pour récompenser et punir. Même aujourd'hui, en pleine pandémie du Covid-19 ! Jusqu'ici, les musées sont financièrement en sécurité, mais de nombreux artistes et travailleurs de l'art précaires risquent de perdre leur source de revenus. Au lieu de se concentrer sur l'aide directe aux plus démunis, comme l'ont proposé certaines organisations d'artistes, le ministère a ouvert un programme « Culture en ligne » pour quiconque veut promouvoir l'art sur Internet. Mais comme pour de nombreux autres programmes ministériels, on peut s'attendre à ce que la droite radicale soit favorisée. Comme une sorte de « hip hop patriotique », commente ironiquement Mikołaj Iwański, économiste et commentateur du monde de l'art polonais.
À la fin de l'année dernière, le Centre for Contemporary Art (CCA) de Varsovie, hébergé dans le château Ujazdowski, diffusait un dépliant annonçant la liste des expositions prévues pour 2020. Ce qui arriva était nouveau, mais pas surprenant. Dans les derniers mois de 2019, tout le monde savait que le 1er janvier apporterait de grands changements, notamment avec la nomination du nouveau directeur de l'institution, Piotr Bernatowicz, dont la vision de l'art ne correspondait pas vraiment à ce qui s’était passé jusqu'ici au château. La nouvelle de sa nomination était dans l’air quand s’est ouverte l'exposition de Karol Radziszewski « Le Pouvoir des secrets », une intervention queer dans l'art et l'histoire contemporaine de la Pologne. Et la communauté LGBT+ étant l'un des ennemis officiels de l'actuel gouvernement radical de droite, on s'attendait à ce que la première décision du nouveau directeur soit de fermer l’exposition.
Bernatowicz est futé. Il est capable d’agir de manière non conventionnelle et n'exprime jamais personnellement ses idées les plus controversées : il préfère créer la plateforme qui permet aux autres de les exprimer. C’est ce qu’il a fait en tant que directeur de la Galerie municipale de l'Arsenal, à Poznań, et directeur de la station de radio de la ville. Comme excuse, il invoque souvent l'argument du pluralisme et du manque d'équilibre entre les opinions de droite et de gauche dans les médias et les institutions artistiques. Le résultat de cet « équilibre » est l'acceptation de points de vue antisémites, homophobes et antiféministes. Comme le faisait remarquer Iwański, « Bernatowicz a franchi une limite : sans exprimer lui-même d'idées antisémites, il n'a aucun scrupule à créer la situation qui permet la circulation de telles idées ». Il semble qu'au CCA, il utilisera une stratégie similaire.
Réécrire l'histoire
Lorsqu'on l'interroge sur ses projets, Bernatowicz parle généralement d'artistes sous-représentés, par exemple ceux qui explorent « les domaines spirituels de l'art, et en particulier la spiritualité chrétienne ». Son principal critère est censé être « le pluralisme de la scène artistique contemporaine ». Cependant, sa liste d'artistes est courte. Et il est lui-même l'un des rares professionnels de l'art à soutenir ouvertement le gouvernement radical de droite du parti Droit et justice. Le ministre de la Culture et du Patrimoine national, Piotr Gliński, a du mal à trouver des hommes à la fois compétents et loyaux. Pour lui, les institutions artistiques ne doivent exprimer aucune critique à l'égard des autorités ou des événements, et ne rien faire qui puisse provoquer des remous dans les médias. Le principal horizon culturel du parti Droit et justice n’est pas l’art mais la réécriture de l'histoire.
Le ministre avait déjà commis l'erreur de nommer à la direction du Musée national de Varsovie le loyal mais inexpérimenté Jerzy Miziołek, connu depuis pour avoir censuré les œuvres d'artistes féministes, dont le classique moderne Consumption Art de Natalia LL, où l’on voit une femme manger une banane. Des protestations avaient alors éclaté sous forme d’images de consommation de bananes, à la fois sur Internet et à l’occasion de rassemblements devant le musée. Plus tard, Miziołek s’est montré si incompétent et il a créé un tel chaos dans le musée, y compris en perdant des dons, que le ministre l’a laissé partir. Plus récemment, c’est la directrice du musée Śląsk de Katowice, Alicja Knast, qui a perdu son emploi. Officiellement, une piètre excuse a été invoquée, mais la véritable raison n’est un secret pour personne : elle a refusé de mettre le musée au service de la campagne d'un politicien local.
Plus rusé, Bernatowicz ne prend pas de décisions hâtives. Bien que l’artiste Radziszewski, et le commissaire de l’exposition, Michał Grzegorzek, aient été sévèrement critiqués par la télévision publique, le nouveau directeur a maintenu l’événement, mais il a déjà réduit la programmation du CCA pour 2020, en raison, affirme-t-il, de problèmes financiers. Il a décidé aussi de mettre un terme à sa collaboration avec l'initiative de l'Année antifasciste.