Pierre Gaignard, co-fondateur et résident du Wonder
« Nous sommes actuellement 15 personnes confinées au Wonder (artist-run space nomade installé dans un bâtiment de 2300 m2 à Nanterre, après Paris 19e, Saint-Ouen et Bagnolet, ndlr). Il y a une aile pour les logements et une autre pour les ateliers, une cuisine et des espaces communs. Le lieu, qui accueille habituellement des expositions et des événements, est fermé au public depuis le début du confinement. On a la chance de ne pas être isolé.e.s, on se relaie, avec toute la prudence requise, pour le ravitaillement, on mange ensemble – ce qui était déjà le cas auparavant –, on organise des soirées à thème, un concours de sculpture (relayé sur les réseaux sociaux)... On est comme une famille, avec ses problèmes, ses hauts et ses bas, mais l'avantage est qu'on se connaît bien, on reste attentifs. L'un de nous, Antonin Hako, a lancé le projet NTRTKT : des manifestations (danses, chansons, cris, projections, lancement d'un ballon gonflable...) à ciel ouvert, sur le toit, annoncées via un site internet et un tchat, par lesquelles on communique avec les gens du quartier, notamment celles et ceux qui vivent dans les fameuses tours Nuages de Nanterre, et qui nous racontent leurs vies confinées.
Ainsi, on essaie de rester dans la continuité de notre projet, qui est aussi politique et se trouve aiguisé par la situation actuelle : le vivre ensemble, le partage des ressources entre artistes, la mise en place d'outils de production peu chers. Nos pratiques, pour beaucoup issues du recyclage, ne souffrent pas trop du confinement : on les met à jour en fonction de ce que l'on a sous la main, on bricole... On a pu faire une commande de matériel, pour de la céramique, mais on ne souhaite pas en abuser, pour respecter les mesures sanitaires.
Financièrement, la situation ne change pas beaucoup pour nous : nous restons aussi précaires qu'avant. On sait que nos demandes d'aides auprès du ministère de la Culture ont peu de chance d'aboutir, étant donné qu'il nous est difficile de prouver des revenus... Notre système est l'auto-gestion, le partage des frais, qui sont peu élevés. Chacun.e paie 150 euros de cotisation par mois pour l'accès aux ateliers et aux machines, et les fondateurs et fondatrices ont accès aux logements en échange de travaux et d'entretien sur le bâtiment. Mais notre trésorerie n'est pas énorme, et la structure, qui salarie une administratrice, Albine Bessire, est en danger.
Cela dit nous avons conscience que nous sommes d'une certaine manière privilégié.e.s de vivre ainsi le confinement. Cela confirme aussi notre engagement : notre modèle alternatif – l'horizontalité, le ralentissement de la consommation – a été monté avec des maladresses, mais vaudrait d'être modélisé et transmis. L'autonomie et la solidarité permettent de réduire l'impact du confinement. On survit pour les un.e.s les autres. »
« Le mur de mes voisins est devenu un écran commun »
Romina de Novellis, artiste
« La vidéo, les spectateurs, l’action répétitive, l’enfermement, l’isolement et la peur de l’autre sont des thématiques qui reviennent tout le temps dans mon travail. Depuis le confinement des Italiens déjà, je recevais des liens pour voir des expositions, regarder des spectacles et des films gratuitement et directement sur mon smartphone. Réduire l’expérience de l’art à un lien interne m’a semblé terrible. Mes performances peuvent être très longues et à chaque fois les spectateurs me demandent à quoi je pense alors. J’ai toujours répondu que je ne pensais à rien et qu’en quelque sorte je subissais l‘enfermement. J’ai appris à travers ma pratique que malheureusement on peut s’habituer à l’enfermement, à l’isolement, et j’ai peur qu’on puisse aussi s’habituer à découvrir une exposition via un lien internet. Et puis dans le même temps, chaque soir à 20h je voyais les visages de mes voisins. J’ai découvert grâce aux applaudissements pour les soignants qu’il y avait tout un monde derrière les fenêtres. Je me suis dit que c’était le moment de communiquer avec eux à travers l’art. Chaque soir, je projette du coup pendant 10 à 15 minutes sur le mur de l’immeuble qui se trouve en face de la chambre de ma fille une sélection de deux ou trois vidéos. J’ai d’abord projeté trois ou quatre soirs de suite des films classiques, des scènes cultes du cinéma italien, de Pasolini, Fellini ou Rossellini, et j’ai commencé à poster ces photos sur les réseaux. Puis je me suis adressée directement aux amis artistes, commissaires d’expositions et collectionneurs et je leur ai proposé de participer activement à la projection. Béatrice Andrieux, Guillaume Lasserre, Paola Ugolini, Martina Cavallarin, Isabelle de Maison Rouge, pour ne citer qu’eux, ont participé. Le mur de mes voisins est devenu un mur partagé, un écran commun où toutes les cultures se projettent chaque soir. La première fois, j’avais très peur de déranger mes voisins, mais à la troisième soirée de projection, au moment des applaudissements, j’ai commencé à saluer tout le monde aux fenêtres et à leur sourire, j’ai respiré ! »