Le président de la République l’a annoncé en début de semaine : écoles, collèges et lycées pourraient rouvrir le 11 mai, tandis que les établissements d’enseignement supérieur vont garder portes closes jusqu’en septembre. Qu’en est-il des écoles d’art ? Comment assurer la « continuité pédagogique » loin des ateliers, sans matériel (pour la plupart des élèves) et sans le contact indispensable entre étudiant.e.s et enseignant.e.s ? Celle-ci, d’ailleurs, est-elle primordiale en cette période exceptionnelle où chaque priorité est revue ? « Je n’ai pas la tête à ça, j’ai du mal à me concentrer, raconte Fanny Lallart, étudiante en 5e année à l’ENSAPC de Cergy. C’est difficile de travailler dans l’incertitude. Il y a une course au "meilleur projet de confinement", une injonction à produire que nous essayons de déconstruire. Par ailleurs, une école d’art, c’est d’abord un lieu où on se rencontre, où on touche des objets. » Représentante des élèves, elle souligne qu’avant même la question pédagogique, il y a celle de « l'urgence économique, psychologique et sanitaire pour de nombreux élèves, privés de leurs petits boulots et non admissibles au chômage partiel » : les sommes débloquées par l’école n’étant pas suffisantes, et le CROUS dépassé, une cagnotte a été mise en place par les étudiant.e.s et leurs professeur.e.s (comme c'est le cas également aux Beaux-Arts de Lyon). En ce qui concerne la production, « certains sont démunis, par exemple celles et ceux qui font de la sculpture, qui vivent dans de petits espaces ou n’ont pas une bonne connexion internet ».
Là comme ailleurs, c’est la débrouille et l’improvisation qui prévalent dans la gestion de crise. Au niveau national, les écoles d’art attendent toujours des directives du ministère de la Culture. Aucune concertation n’a été menée, malgré la cellule de crise mise en place avec l’Andéa (Association nationale des écoles supérieures d'art) – tandis que les écoles territoriales, plus libres dans leur fonctionnement, se sont plus rapidement mises sur le pied de guerre. Ainsi, à l’ésam, école supérieure d'arts et médias de Caen/Cherbourg, le concours d’entrée en 1e année s’est déroulé de manière dématérialisée du 27 mars au 7 avril, tandis que les cours et évaluations sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. Ici comme à Cergy, le lien entre enseignant.e.s et étudiant.e.s se poursuit par mail, des clouds donnent accès à des conférences en ligne, textes, films, etc. Chaque professeur.e imagine des solutions : tenir un journal écrit ou vidéo, monter une exposition chez soi et la filmer ou la photographier pour la partager… Aux Beaux-Arts de Lyon, le lien est maintenu par des tchat, visioconférences (notamment pour les cours théoriques), le partage de fichiers pour l’apprentissage et le suivi des projets des élèves, qui sont invité.e.s à « travailler leurs mémoires », dans un glissement de la pratique vers le discursif.
Besoin de proximité
Pour Jérôme Dupeyrat, enseignant à l’isdaT à Toulouse et membre du Syndicat national des écoles d’art et de design, « il ne faut pas faire de cette situation subie un laboratoire qui participerait de la casse de l’enseignement supérieur, où les cours seraient remplacés par des visioconférences, et les enseignants réduits au rôle de prestataires de contenus. On peut maintenir des contacts individuels, travailler en petits effectifs sur certains projets, mais l'enseignement artistique et la culture d’atelier ne fonctionnent pas à distance, avec des ersatz de relation pédagogique ». Du côté des étudiant.e.s, les initiatives se multiplient ici et là : à Lyon la radio L’Innommable maintient le contact avec des entretiens, lectures ou pièces sonores, tandis que les réseaux sociaux, en particulier Facebook (avec des groupes comme Réseau Écoles d’art, qui compte 3 800 membres) et Instagram, permettent de relayer les travaux en cours ou de trouver de l’aide.
En ce qui concerne les évaluations de fin d’année, là aussi, les choix (pas toujours arrêtés) diffèrent selon les écoles, certaines songeant même à donner leur diplôme à tout le monde... À Cergy, où les dates n’ont pas encore été fixées, Fanny Lallart et ses camarades réfléchissent déjà à « une forme d’évaluation plus collective, moins basée sur la sélection, car tout le monde n’aura pas eu les mêmes possibilités de travailler ».
Et après ? Pour Jérôme Dupeyrat, « sur le plan organisationnel, il faudrait que cette période soit une parenthèse, même si elle va probablement nourrir nos enseignements, qui ne peuvent faire l'économie d'une réflexion sur le monde présent et les logiques qui le détruisent ». Fanny Lallart exprime quant à elle une certaine frustration : « Quand on a quitté l’école en mars, on n’imaginait pas ne pas revenir. Ces derniers mois, pour les élèves qui terminent leur cursus, étaient importants pour être ensemble. Le diplôme est un rituel de passage mais c’est surtout le résultat de mois de préparation. On est amputé d’un moment de conclusion. »