« La majorité des artistes que la galerie représentait avant sa fermeture se sont recasés très vite, se réjouit Yvon Lambert. C’est normal, ils sont formidables et ce fut vraiment facile pour eux. » Quand il décida de fermer son espace rue Vieille-du-Temple, en 2014, Yvon Lambert représentait des artistes comme Joan Jonas, Douglas Gordon, Jenny Holzer ou encore Andres Serrano. Des noms déjà bien connus internationalement et qu’il a « suggéré à des galeries de reprendre ». Les galeries Bugada & Cargnel, Samy Abraham, VnH ou Untilthen représentaient quant à elles davantage d'artistes jeunes, qui ont vécu différemment l’arrêt de leur activité. « En tant que jeune artiste, je ne suis pas dans la même situation que d’autres plus implanté.e.s, nous explique Gaëlle Choisne, jusqu’alors représentée par Untilthen, qui a fermé en octobre dernier. La jeune femme, dont le travail était présenté récemment à la Biennale de Lyon, s'organise pour être sa propre galeriste : « Il faut que ça continue à rouler. Je fais l’inventaire, l’administratif, j’ai trouvé un espace de stockage et je travaille de temps en temps avec une assistante. » Et de poursuivre : « C’est la fin d’un cycle. J’ai beaucoup produit ces derniers temps, donc cela s’est plutôt bien combiné car si la fermeture de la galerie avait eu lieu cinq mois plus tôt, cela aurait été très compliqué pour moi. » Mais ça n’est pas le lot de toutes et tous, certain.e.s artistes se retrouvant presque du jour au lendemain avec peu d’œuvres produites ou sans solutions de stockage, et peu formé.e.s pour gérer l’administratif.
Les galeries en fin de vie aident-elles les créateurs et créatrices à retomber sur leurs pieds une fois leurs portes closes ? « Complètement », assure Bianca Bondi, qui avait donné sa confiance à la galerie VnH (close en juillet 2019). « Hélène Nguyen et Victoire de Pourtalès m’ont prévenue de la fermeture le plus tôt possible. J’ai eu la chance de participer à la toute dernière exposition de la galerie et d'avoir un solo show à la foire ArtORama, alors même que la galerie avait déjà fermé ses portes. » Gaëlle Choisne raconte quant à elle que Mélanie Meffrer Rondeau et Olivier Belet avaient annoncé aux artistes les difficultés de la galerie et qu’il devenait difficile pour Untilthen de leur proposer de stocker leurs œuvres. « Nous étions au courant et espérions que ça aille, confie-t-elle. J’ai toujours été en très bons termes avec les galeristes et on a fait les choses en fonction de mes possibilités. Ils m’ont aidée en me demandant notamment quelles galeries pouvaient m’intéresser. La fermeture ne s’est pas faite dans un climat d’animosité. » Même chose pour Julien Nédélec : « Emeric Ducreux, directeur de mon ancienne galerie bordelaise ACDC, a joué cartes sur table et a tenu à fermer sa galerie "proprement". Quand c’est arrivé, en 2013, je venais d’avoir un enfant et je voulais profiter de ce moment pour prendre un congé paternité et un peu de recul. »
Une galerie, un réseau
Le manque de contacts ou de réseau que pouvait procurer la galerie s'ajoute à la liste des difficultés rencontrées. « Ce que je n'ai pas, c’est le carnet d’adresses, avoue Gaëlle Choisne. Et sans galerie, il est impossible d’être présente sur des foires et difficile de rencontrer de nouveaux collectionneurs. » Julien Nédélec ne pensait pas qu’il y aurait une grande différence une fois close la galerie ACDC : « Ce fut une erreur, nous dit-il. Une galerie permet de faire gagner des étapes. On le voit bien, les gens posent tous cette question : "As-tu une galerie ?". Si la réponse est négative, l’intérêt s’éteint, notamment chez les collectionneurs, alors que dans le cas inverse, la discussion se prolonge. » Désormais représenté par Praz Delavallade (Paris, Los Angeles), Julien Nédélec se souvient : « Je suis allé à la FIAC peu de temps après l’annonce de la fermeture définitive d’ACDC et les gens me regardaient comme si j’avais perdu un membre de ma famille ! »
Pourtant, certain.e.s artistes disent apprécier la liberté dont ils ou elles bénéficient loin des galeries (lire notre article dans l’Hebdo du 23 novembre 2018). « Cela m’a fait du bien de ne plus avoir de galerie, ça m’a procuré une grande liberté. Par exemple celle de faire des films, alors qu'ils se vendent difficilement », confiait alors Olivier Sévère. Étienne (le prénom a été modifié, ndlr), qui a fait cavalier seul pendant quelque temps après la fermeture de sa galerie, explique qu’il ne doit pas son réseau ou ses projets à celle qui le représente aujourd'hui. « Mais elle aide à ce que les gens regardent les œuvres, précise-t-il, amer. Ma galerie ne m’apporte rien, elle est juste un soutien sur le papier, un soutien symbolique. » Et de conclure : « Tout ça, c’est juste une histoire de labellisation d’un travail qui, avec ou sans galerie, reste pourtant le même. » Bianca Bondi quant à elle ne semble pas pressée de retrouver une galerie parisienne. « Paris est ma ville et cela me faciliterait la vie sur bien des aspects, mais en toute honnêteté, je préfère prendre mon temps et être sûre de m’engager avec une galerie pour une aventure à long terme, admet-elle. Je voudrais retrouver la relation que j’avais avec VnH et que je vis actuellement avec JosédelaFuente [qui la représente à Santander, en Espagne, ndlr]. »
De son côté, Gaëlle Choisne dit chercher activement une galerie : « Plusieurs sont déjà au courant et je crois au pouvoir du bouche-à-oreille. » L’attente peut s’avérer difficile pour des artistes qui se retrouvent, à leurs dépens, en situation de passivité. Étienne fulmine : « Nous les artistes sommes des prolétaires qui avons à faire la parade devant cette bourgeoisie qu’est le monde de l’art. C’est difficile d’avoir des convictions et de s’y tenir dans ce milieu. » Il explique vendre moins bien ses œuvres depuis qu’il est entré dans sa nouvelle galerie, son niveau de prix ayant augmenté : « Mes collectionneurs habituels ne peuvent plus suivre… Je n’ai jamais aussi peu vendu. » Avec ces fermetures, récentes et nombreuses, la question se pose : le format actuel des galeries est-il toujours efficient ? Gaëlle Choisne pense qu’il faudrait l’adapter, trouver de nouvelles définitions, tandis qu’Yvon Lambert en est persuadé : « Une galerie reste l’endroit où l’on peut vraiment bien montrer les artistes. Je ne vois pas trop quel modèle pourrait la remplacer. »