Résiliente. Le qualificatif sied aux Rencontres de Bamako, dont la 12e édition a ouvert ses portes le 30 novembre, cinq jours après la mort de 13 soldats français dans le crash de deux hélicoptères en opération et deux mois après le décès de 25 militaires maliens dans une attaque coordonnée contre les camps de Boulkessi et Mondoro, près de la frontière avec le Burkina Faso. « Pendant que les canons tonnent dans le Sahel, on organise une biennale. Ce n’est pas de l’inconscience, mais plutôt un surcroît de conscience, voire de la résistance », sourit Igo Diarra, directeur de la galerie bamakoise La Médina et nouveau commissaire général de l’événement. Depuis leur lancement en 1994, les Rencontres de Bamako tiennent d’ailleurs du miracle. À chaque édition, les mêmes questions : comment trouver des fonds, motiver les troupes, accorder les violons de la France et du Mali, coproducteurs de l’événement. Annulée en 2013, avec la montée du djihadisme dans le nord et le centre du pays, la manifestation fut endeuillée en 2015 par l’attentat meurtrier contre l’hôtel Radisson Blu.
Cette année, les Rencontres ont dû relever un nouveau défi, celui de l’autonomie. Pour la première fois en 25 ans, l’événement cofinancé à parité par la France et le Mali – chacun donnant 250 000 euros – a été entièrement pensé et produit depuis Bamako. « Il est plus efficace et avisé de travailler sur le mode du partenariat », affirme Pierre Buhler, président de l’Institut français. Le Mali a donc choisi son commissaire général, ainsi que son directeur artistique, le Camerounais Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, flamboyant fondateur du centre d’art SAVVY à Bamako. Pour la première fois, la Biennale a fait appel à un scénographe malien, l’épatant architecte et designer Cheikh Diallo. Les tirages, autrefois réalisés en France et expédiés au Mali, ont tous été imprimés in situ. « Comment dire que Bamako est la capitale de la photographie africaine si on ne tire pas sur place ? », insiste à raison Astrid Lepoultier, co-curatrice de l’événement. Le Centre de formation en photographie s’est ainsi attelé à réaliser 1300 tirages en trois mois, un tour de force en l’absence de stock de papier, d’encre et de trésorerie. « Ça fait trois ans qu’on n’arrive plus à maintenir notre activité, qu’on a zéro subvention, mais on a voulu prendre des risques », confie son directeur, Youssouf Sogodogo, à la fois fier et inquiet pour l’avenir de sa structure.
Prise de conscience
Cette année de transition fut abrupte sur le plan logistique. Plusieurs artistes n’ont pas obtenu leurs visas pour le Mali ou se sont retrouvés sans chambre à leur arrivée. « On avait signé des conventions avec des hôtels, payé 80 % des frais, on ne pouvait pas imaginer qu’ils feraient du surbooking », plaide Igo Diarra. Malgré ces défaillances, cette édition anniversaire a vu grand, très grand. Sous le libellé de « Courants de conscience », clin d’œil à l’album Streams of consciousness du jazzman sud-africain Abdullah Ibrahim, Bonvanenture Ndikung et son équipe ont invité 85 artistes – contre une quarantaine par le passé. Au programme, plusieurs collectifs, comme Orchestre vide, qui réactive les discours marquants de l’histoire de l’art, ou Invisible Borders, qui aborde la difficile circulation des Africains sur le continent. Les femmes donnent aussi de la voix avec subtilité comme l’Égyptienne Amina Ayman Kadous, qui tisse petite histoire familiale et grande histoire de son pays, ou la Tunisienne Mouna Karray, qui a fait croiser plusieurs récits – et négatifs – sur sa table lumineuse.
Grande première, la Biennale s’articule entre 11 lieux, trois fois plus que d’habitude. Une démultiplication qui provoque fatalement une déperdition des visiteurs dans un pays où les musées sont globalement vides. « Le système français est basé sur le centralisme et je crois à la décentralisation, défend pourtant Bonaventure Ndikung. J’ai voulu sortir de notre zone de confort pour montrer que la photographie n’est pas uniquement dans des musées. » Originalité de cette édition, trois familles de Bamako ont accepté d’ouvrir leurs portes pour montrer leurs vieux albums de familles aux tirages jaunis. Il fallait voir Moussa Fall révéler fièrement ses reliques familiales aux curieux. Il fallait aussi écouter, derrière les doléances, les conversations nouées entre photographes. « Ces rencontres sont importantes, elles nous permettent d’échanger avec les autres photographes, de découvrir d’autres manières de travailler. Un tel festival, ça manque dans mon pays ! », abonde le jeune photographe camerounais Antoine Ngolkedoo. Aussi, malgré ses faiblesses et les difficultés chroniques, cette biennale reste éminemment précieuse. « Elle a permis à une génération d’artistes d’émerger, de produire leur propre imaginaire depuis une perspective africaine, insiste Marie-Ann Yemsi, curatrice de la précédente édition. Les artistes se retrouvent ensemble, imaginent ensemble un autre savoir-faire, ils sont heureux de se retrouver. »
Quid de l’avenir dans un pays aussi troublé qu’exsangue? « On ne va pas retirer nos billes », assure Pierre Buhler, mais, ajoute-t-il, « si la biennale doit grandir, ce sera avec les moyens locaux. » « On se bat pour que la biennale soit institutionnalisée, que son budget soit pérennisé », assure Igo Diarra. Un combat qu’avait déjà mené son prédécesseur, le charismatique Samuel Sidibé. En vain. Malgré les déclarations d’intention de N’Diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la culture malienne, la volonté politique locale s’achoppe à de plus grandes urgences.
À voir
Rencontres de Bamako, « Courants de conscience », jusqu’au 31 janvier, rencontres-bamako.com