Le Quotidien de l'Art

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Le beau geste

Le beau geste
Couverture de l'Hebdo du 20 décembre 2019
Yasmine Gateau

La leçon est d’autant plus puissante qu’elle vient d’une île déterminée à larguer les amarres de l’Europe au plus vite. Les quatre artistes britanniques qui ont décidé début décembre de s’unir pour recevoir, ensemble, le prestigieux Turner Prize, démontrent que le pays de Boris Johnson et du Brexit conserve un talent pour le beau geste. Leur décision de partager les honneurs, bien reçu par un jury qui a eu l’élégance de rendre hommage à la cohérence de ce choix, dissipe ce fog qui déboussole le monde de l’art. Du sens, enfin ! De l’entraide, enfin ! Qu’Oscar Murillo figure parmi les mousquetaires qui ont fomenté ce coup d’éclat contre une certaine idée de la compétition artistique et pour une certaine idée de l’engagement montre aussi la complexité d’un artiste spéculatif, promu par une galerie pour millionnaires – autre leçon utile : ne désespérer de personne ! Que ceux qui n’ont vu dans ce symbole qu’astuce, auto-promotion et mise en scène cherchent, dans l’année écoulée, un événement plus frais, plus frappant.

Bien sûr, la récente acqua alta à Venise n’a rendu que plus pertinent le Lion d’or célébrant un pavillon lituanien aux accents écologiques. Bien sûr aussi, l’offensive de Nan Goldin contre la famille Sackler, dont les opiacés sont responsables d’une tragédie sanitaire, a contraint les musées à se défaire de l’argent toxique, et ce n’est sans doute qu’un début. Enfin, en ces temps de lutte contre la réforme des retraites, l’art en grève au coude-à-coude avec les camarades syndiqués contraste avec une dépolitisation générale. Mais le beau geste, c’est ce qui reste en mémoire, par sa gratuité, sa spontanéité, son ingénuité apparente – tout ce qui précisément échappe aux petits malins qui ont tendance à tout décrypter pour mieux moquer. Alors que les thèmes privilégiés par Oscar Murillo, Tai Shani, Helen Cammock, Lawrence Abu Hamdan – genre, écologie, guerre, souffrance au travail... – sont devenus les sujets obligés de l’art contemporain, ce quatuor s’extirpe de l’esprit de sérieux et du premier degré qui plombent certaines expositions pavées de bons sentiments. Ces artistes nous invitent au-delà de leur œuvre à observer le monde avec moins de cynisme. Une bonne résolution pour 2020 ?

* Recul et repos faisant partie des autres bonnes résolutions de l’an prochain, vous retrouverez mes billets à partir du vendredi 6 mars (le Quotidien de l'Art reprendra quant à lui le 6 janvier).

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