En mai dernier, Philippe Pirotte, le directeur de la célèbre école Städelschule (Frankfurt), nous faisait part de l’importance qu’il accordait à la souplesse de l’emploi du temps des enseignants pour que les étudiants puissent bénéficier d’artistes reconnus, pouvant poursuivre leurs carrières professionnelles. De la même manière, les neuf enseignants qui viennent d’être recrutés par Jean de Loisy pour les Beaux-Arts de Paris (la majorité ont exposé au Palais de Tokyo qu’il a dirigé), ont des parcours déjà établis et diversifiés, malgré une faible présence d’enseignants étrangers (attribuable au niveau de salaire : 2000 euros au départ). Le système d’enseignement par chefs d’atelier, dont la désignation de « maitre » rappelle l’anachronisme, est maintenue. Avec le départ de Bernard Piffaretti et Sylvie Fanchon, l’école termine l’un des seuls ateliers portés vers la peinture à caractère formaliste ou abstrait. Parmi les nouveaux arrivés, Stéphane Calais (né en 1967, formé aux Beaux-Arts de Nîmes) remet en question les frontières entre abstraction et figuration, s’intéressant au trait dans des registres qui vont de l’illustration à la BD, sur toile, papier ou sur les murs. La peinture figurative de Nina Childress (née en 1961, formée aux Arts-Déco de Paris), dont le parcours hors norme a attendu longtemps une reconnaissance méritée, pose un regard féministe (« non agressif », selon le communiqué) et un goût irrévérencieux qui combine le baroque et le conceptuel. Une autre peintre rejoint l’équipe, Hélène Delprat (née en 1957, formée aux Beaux-Arts de Paris), qui privilégie des univers inquiétants à la fixité des identités, convoquant une généalogie de figures du trouble (de Mary Shelley à Cocteau, jusqu'à Franju ou Claude Cahun). Est-ce que la nomination de ces deux femmes, fait inédit dans le secteur peinture de l’école, signifie une revitalisation de la figuration, identifiable dans les débats actuels ? Plus concentré sur la spécificité des médiums, Dove Allouche (né en 1972, formé à l’école de Cergy) travaille entre dessin et photographie, autour des conditions d’apparition des images, tout en s’intéressant à la géologie ou à des phénomènes naturels. Deux artistes recrutés ont développé leurs carrières majoritairement à l’étranger. Côté vidéo, Angelica Mesiti (née en 1976 à Sydney) travaille sur langage non-verbal - code Morse, danse du tambour d’eau, langue des signes ou chants de gorge traditionnels du Mont Altaï - pour composer une vision socio-politique du monde. Tandis que le duo installé à Berlin, Petrit Halilaj (né en 1986 au Kosovo) et Alvaro Urbano (né en 1983 à Madrid), s’intéresse au rôle de la mémoire et des affects, faisant dialoguer le vivant et le non vivant à travers de sujets aussi divers que le monde animal et l’architecture utopique. Deux autres artistes, déjà consacrées par le Prix Duchamp, rejoignent l’école. Julien Prévieux (né en 1974, formé à l’école de Grenoble) pirate les codes et algorithmes issus des logiciels d’analyse qui régissent la société, pour en dévoiler le fond idéologique ou l’absurdité, qu’il transforme en sculptures, dessins ou chorégraphies. Tatiana Trouvé (née en 1968, formée à la Villa Arson de Nice) redéfinit les espaces physiques sur un plan psychique, changeant les échelles et faisant cohabiter le domestique et le minéral, l’intérieur et l’extérieur, pour créer une expérience de désorientation. En plus des nouveautés déjà annoncées - un laboratoire des arts du futur (avec Tino Sehgal, Philippe Parreno, et le philosophe Emanuele Coccia), les séminaires La chaire du présent (coordonnés par Jean-Yves Jouannais) ou une chaire (à venir) sur les études de genre - les Beaux-Arts de Paris ont nommé le critique Alain Berland à la programmation culturelle et Pascal Rousseau à la chaire de théorie et histoire de l’art. Ce dernier présentera « Une histoire de la fascination » depuis le XIXe siècle, ouvrant la discipline aux domaines techniques et scientifiques, à la « culture visuelle », à « l’économie de l’attention » et à « l’archéologie des médias ».
Renouveau générationnel aux Beaux-Arts de Paris
Une sélection paritaire de huit artistes, majoritairement français, renouvellent le corps enseignant des Beaux-Arts de Paris, tandis que l’histoire de l’art élargit son champ de réflexion.