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Abraham Poincheval / Hans Hartung : « Je me sentais aspiré »

Abraham Poincheval / Hans Hartung : « Je me sentais aspiré »
Hans Hartung, T1989-K36, 1989, acrylique au pistolet sur toile, 1989. Paris, musée d'Art moderne.
Photo Julien Vidal/Parisienne de Photographie/© Musée d’Art moderne de Paris/Roger-Viollet/© ADAGP, Paris, 2019.

Alors que la rétrospective Hans Hartung (1904-1989) ouvre ses portes le 11 octobre au musée d’art moderne de la Ville de Paris, Abraham Poincheval nous commente son surprenant intérêt pour l’œuvre de son aîné.

Aussi loin qu’il s’en souvienne, Abraham Poincheval s’est intéressé à Hans Hartung. Oui, Hans Hartung. Une filiation entre l'artiste de l'école de Paris et l'aventurier de l'absurde ? Improbable, pense-t-on de prime abord. « Ce qui est passionnant, c’est qu’Abraham adore Hartung alors même qu’il n’y a pas de lien direct, d’ordre technique ou esthétique, sourit Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hartung Bergman, à Antibes. C’est le sentiment de liberté totale, d’effusion physique et psychique qui crée l’affinité élective. » 

Notre surprise première tient d’ailleurs à un grand malentendu, particulièrement tenace, qui voudrait faire de Hartung le père de l’abstraction lyrique et de Poincheval un doux rêveur. Le travail de ce dernier a beau sembler hors cadre, il est d’une folle précision, comme l’était la pratique de son aîné, aux antipodes du jaillissement ou de la gestuelle spontanée de l’École de Paris. Tous deux ont construit leur œuvre dans la rigueur et l’inconfort, l’un sur chaise roulante à la fin de sa vie, l’autre en se plaçant volontairement dans des situations improbables. 

C’est aux Beaux-Arts de Nantes, sous l’impulsion de l’artiste Christophe Cuzin, qu’Abraham Poincheval découvre les signes grattés et griffés dans la peinture fraîche de Hartung, ses juxtapositions de couleurs primaires associées au noir, sa teinte fétiche. « J’ai eu de l’intérêt, sans savoir quelle place ce peintre prendrait dans ce que j’allais produire, confie-t-il. J’ai ressenti son importance à retardement. » Le jeune étudiant perché aime déjà quitter sa zone de confort en quête d'inconnu. Et il est d'une génération insensible aux préjugés et oukases de ses prédécesseurs. Hartung est de ces artistes célébrés de leur vivant puis rangés dans les oubliettes de l’histoire de l’art. Trop répétitif, trop expressionniste, trop lyrique, pense-t-on dans les années 1990. Mais lorsqu’on demande à Abraham Poincheval s’il l’a jamais trouvé « ringard », il lâche, amusé : « Franchement, quand vous vous trouvez face à l’art, sans connaissances comme c’était mon cas, vous ne vous posez pas la question de la ringardise ou du goût ! » 

Coulées de lumières

Hartung se rappelle à son bon souvenir lorsqu’Abraham Poincheval est invité par Thomas Schlesser à visiter la Fondation Hartung Bergman. « Là, j’ai découvert un homme différent, confie-t-il, ses débuts plus formels juxtaposés avec des œuvres plus ouvertes, des expériences de profondeur d’entrée. Face à ses tableaux, je me sentais aspiré. » Ce souvenir ne le quittera plus, même dans ses expériences les plus extrêmes, quand la solitude nourrit peur et cauchemars. En 2017, alors qu’il s’était lové une semaine durant dans une pierre d’1,7 mètre de diamètre au Palais de Tokyo, il est sujet à des hallucinations et flashs visuels « proches des tableaux d’Hartung, comme des coulées de lumières qui se dispersent ». 

C’est encore à lui qu’il songe en réalisant l’un de ses vieux rêves : marcher sur les nuages attaché à une montgolfière — un film actuellement projeté à la Biennale de Lyon. À la Fondation d’Antibes, il avait découvert quantité de photos de nuages secrètement prises par l’artiste et dont la matière l’avait séduit. « En revoyant ces images dans le même temps ses peintures je me suis dit que c’est vers ça que je voulais tendre, ce flux où rien n’est fixe, où il y a des conflits et des moments de paix », poursuit-il, surpris de ces résurgences alors qu’il était sanglé à des milliers de mètres au-dessus d’une forêt gabonaise. 

Poincheval rêve désormais d’une performance où il resterait plusieurs jours immobile devant une toile de Hartung à la Fondation pour capter, avec l’appui de neurologues, « la trace de l’œuvre ». « Je n’ai pas les moyens d’acheter un Hartung, mais je veux conserver un souvenir, explique-t-il. Comment embrasser et retenir une œuvre vaporeuse, qui part dans tous les sens ? Qu’est-ce qui finit par rester, comment tout cela se densifie dans notre cerveau ? »

Hans Hartung

1904 : naissance à Leipzig (Allemagne).

1926 : après des études de lettres classiques et un passage éclair à l'Académie des Beaux-Arts de Dresde, il s'installe à Paris.

1929 : se marie avec l'artiste Anna-Eva Bergman.

1946 : naturalisé français.

1947 : première exposition personnelle à la galerie Lydia Conti.

1960 : grand prix international de peinture de la Biennale de Venise.

1977 : élu à l'Académie des Beaux-Arts ; une rétrospective lui est consacrée au Centre Pompidou.

1989 : décès à Paris.

Abraham Poincheval

1972 : naissance à Alençon

Etudie à l'Ecole Supérieure d'art d'Aix-en Provence et entame une collaboration avec l'artiste Laurent Tixador.

2014 : s’enferme seul dans un ours lors d’une performance au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris.

2015 : commence à enseigner la performance à l'Ecole supérieure d'art d'Aix-en-Provence.

2017 : au Palais de Tokyo, il s’enferme pendant une semaine dans un rocher.

Vit et travaille à Marseille.

Abraham Poincheval.
Abraham Poincheval.
DR.
Hans Hartung, Sans titre, 1940, gouache sur papier, 31,50 x 24,50 cm. Fondation Hartung-Bergman, Antibes.
Hans Hartung, Sans titre, 1940, gouache sur papier, 31,50 x 24,50 cm. Fondation Hartung-Bergman, Antibes.


Photo Fondation Hartung-Bergman/© ADAGP, Paris, 2019.

François Walch, Hans Hartung dans son atelier d’Antibes, 1975.
François Walch, Hans Hartung dans son atelier d’Antibes, 1975.



Photo François Walch/© ADAGP, Paris 2019.

Abraham Poincheval, Marche sur les nuages, 2019, performance présentée dans le cadre de la Biennale de Lyon.
Abraham Poincheval, Marche sur les nuages, 2019, performance présentée dans le cadre de la Biennale de Lyon.


Photo Christophe Fiorletta/Courtesy Abraham Poincheval et Semiose galerie, Paris/© Adagp, Paris, 2019.

Article issu de l'édition N°1809