Les Suisses se montrent friands d'expositions et de musées parisiens. Enfin pas tous ! Il existe dans ce petit pays deux frontières. L'une s'entend clairement, puisque c'est celle des langues. L'allemand d'un côté. Le français de l'autre. La seconde demeure invisible. Elle se situe, dit-on, à la hauteur de Nyon, à 20 kilomètres au nord de Genève. Au-delà, les gens regardent vers la capitale française. En deçà, ils n'ont d'yeux que pour le reste de leur patrie. Il y a longtemps que le complexe d'infériorité envers la France a disparu pour parfois devenir un complexe de supériorité. Comme quoi tout change !
Or, que voient aujourd'hui mes compatriotes des deux côtés de la Seine ? Des institutions en chantier. Depuis des années, les bâtisses de Carnavalet restent aussi closes que les maisons du même nom. Quand rouvriront les portes du musée ? On l'ignore à force de prolongations de chantier. Sur quoi déboucheront-elles ? Mystère total — enfin pas si complet que cela ! Les mauvais bruits ont traversé la frontière, très perméable en cette matière. Le musée aujourd'hui piloté par Valérie Guillaume entendrait donner dans le ludique, l'interactif, le participatif et je ne sais encore quelles autres fadaises. Les collections se retrouveraient du coup largement en caisses, puis envoyées dans des dépôts lointains. M'est avis que le jour J, les Suisses romands n'auront guère de quoi se déplacer, si ce n'est pour admirer les façades.
Et Cluny ? Là aussi, les esprits s'échauffent autant que les pelleteuses. Pour le moment, c'est le rideau presque baissé. Il y a juste le nouveau pavillon d'entrée. Il paraît qu'un architecte a signé ça. Une sainte horreur. Quand reverra-t-on le contenu médiéval ailleurs que dans les expositions de poche organisées par l'institution ? Là aussi, c'est le flou. Notez que dans le genre, la Bibliothèque nationale, site Richelieu, fait encore mieux. Un vrai brouillard depuis l'arrivée des ouvriers en 2010 ! Son grand et beau musée devrait enfin ouvrir en 2021. Mais qui sait ? Les belles promesses rendent les fous joyeux, disait déjà ma grand-mère.
Ubuesque
Mes voisins et amis voudraient-ils visiter Beaubourg ? Alors là, je leur souhaite bien du courage. L'entrée par l'arrière, en attendant que les ouvriers s'attaquent aux escalators, tient du jeu de piste. Vous trouvez une porte, vous descendez et vous remontez. Avec un peu de chance, vous arrivez jusqu'en haut. Il était inutile selon moi de rendre obligatoire la réservation pour l'exposition Francis Bacon. À cette aune-ci, il n'y a (du moins à certains moments) pas tant de clients que ça. Je ne dis pas qu'au Louvre ce soit mieux. Là, on se demande s'il y a encore un pilote dans l'avion. En cas de réponse positive, je lui souhaite un parachute doré. C'est tantôt accessible, tantôt pas. La presse parle aussi de réservation obligatoire, alors que la moitié de salles sont vides. Ou alors fermées. C'est comme si le Père Ubu avait réussi à s'associer avec les Pieds Nickelés.
Je passe sur le Musée Hébert, qui me semble définitivement « out » (il a fermé en 2004 sans aucun projet !), ses meilleurs tableaux squattant depuis des années Orsay. Là, je pense que personne, Suisse ou pas Suisse, ne reverra ce bâtiment ouvert. Il me faut en venir au Grand Palais. L'endroit idéal pour les Genevois ou les Vaudois. Ils y vont directement en métro, ligne 1, depuis la gare de Lyon. Or, on n'en finit pas de lire que le lieu va entrer en travaux l'année prochaine. Le devis du chantier apparaît si exorbitant que j'ai cru la première fois avoir lu un chiffre de trop. Quatre cent soixante six millions d'euros ! Pour un machin qui n'est même pas en ruines. Qu'est-ce qu'on pourrait faire d'utile avec ça en région pour le patrimoine. Et il y aura en plus le coût du bâtiment provisoire, où je doute que les étrangers dont je suis voudront un jour s'égarer.
Si le Musée d'art moderne de Paris a tout de même rouvert dans les temps, les gens autour de moi ont vu avec désolation l'éclipse du musée de la Chasse et de la Nature. Un endroit auquel ils avaient eu de la peine à s'habituer, mais qui leur avait donné l'envie de revenir. Là, c'est au moins en vue d'un véritable agrandissement. Un hôtel particulier supplémentaire. Il n'y aurait, avec tous les conditionnels d'usage, qu'un an de travaux. Pourquoi ne pas croire à ce délai, après tout ? Nous sommes chez les privés. Les Suisses croient beaucoup aux fondations privées. Ils ont l'impression, et je partage ici leur avis, qu'ils ont au moins affaire à des professionnels.
À voir
Réouverture du Musée d'art moderne de Paris à partir du 11 octobre, mam.paris.fr