« À tous les stades de la préparation, tout est plus compliqué dans une exposition Léonard de Vinci », nous confie Vincent Delieuvin, co-commissaire avec Louis Frank de celle qu’inaugure le Louvre à la fin du mois. Mais qu'est allé faire le musée dans cette galère ? Londres s’était frotté au personnage en 2011, le Louvre déjà en 2012 (autour de la Sainte Anne), et Milan en 2015. Pourquoi réitérer ? « Avec cinq de ses tableaux dans nos collections [soit un tiers de la production totale, ndlr], dont trois incarnent la synthèse des recherches de sa vie, le Louvre avait le devoir moral d’organiser une exposition pour l’anniversaire de sa disparition en France », poursuit le conservateur. Se défendant de toute redondance avec les expositions récentes, le musée souhaite, à partir de la reprise de toutes les archives, se focaliser sur la peinture, dont l’artiste affirmait qu’elle constituait un art suprême. Avec un nouveau découpage chronologique de la carrière du peintre, le programme est appétissant. Pour ce faire, les commissaires doivent en passer par la case épique des demandes de prêts.
Avec seulement une quinzaine de peintures authentifiées, la compétition en cette année de commémoration tourne à la lutte acharnée. La perspective du Brexit promettait toutes sortes d’aléas. Paradoxalement, le Royaume-Uni sera le plus gros prêteur avec 40 œuvres sur 160, dont la fameuse étude pour La Bataille d’Anghiari. Une telle générosité cache d'âpres négociations. L’envoi à Londres, en 2011, de la version conservée au Louvre de La Vierge aux Rochers a dû peser dans la balance. Si les prêts anglais ne sont pas payants, les discussions commerciales portent sur les royalties liées aux reproductions ou aux ventes de produits dérivés. Côté Italie, les tractations se sont corsées avec l’arrivée de considérations diplomatiques. Le Louvre avait pourtant protégé ses arrières avec un accord en 2017 qui prévoyait le prêt de la quasi-totalité des peintures de Léonard conservées en Italie. En retour, le Louvre promettait ses œuvres de Raphaël pour 2020. C’était sans compter sur le fait que Lucia Borgonzoni, élue de la Ligue du Nord (parti italien d’extrême droite, ndlr), rompe le contrat en novembre en déclarant : « Léonard est italien. Le prêt de ces tableaux au Louvre placerait l'Italie à la marge d'un événement culturel majeur. » Devenu enjeu identitaire, l’art n’était qu’un prétexte pour servir les stratégies géopolitiques d’un gouvernement…