Le Quotidien de l'Art

Expositions

Simone Fattal : « Je fais des images qui ressemblent à celles d’une autre époque »

Simone Fattal : « Je fais des images qui ressemblent à celles d’une autre époque »
Simone Fattal.
© Département des Antiquités orientales du Louvre. Olivier Ouadah.

Comme dans un jeu de piste, Simone Fattal a installé plusieurs de ses sculptures au sein du département des Antiquités orientales du Louvre. Signalées par un socle bleu nuit, les œuvres dialoguent avec celles du musée. Visite guidée avec l’artiste.

Au milieu de la foule, Simone Fattal se fraie un chemin. Lunettes de soleil vissées sur le nez et large sourire, elle arrive à notre niveau, et nous nous engouffrons dans le musée. La déambulation est rapide. L'artiste libanaise de 82 ans prend les escalators et se dirige presque automatiquement vers l’entrée des Antiquités orientales, dans l’aile Sully. Alors que nous nous perdons dans ses méandres, l’horizon d’un banc nous permet, un temps, de reposer nos jambes. « J’ai découvert l’art sumérien au Louvre, nous dit Simone Fattal. C’est tellement impressionnant, je suis très attachée à cette histoire-là. » Jeune étudiante à l’École du Louvre, elle se spécialise en archéologie et passe beaucoup de temps dans les couloirs du musée, passionnée par ce qu’elle y découvre. « Je m’y perds malgré tout », rit-elle avant de reprendre la route, d’un pas plus assuré.

Quelques mètres plus loin, on se retrouve en tête-à-tête avec un ange. « C’est un ange vengeur », indique l’artiste au sujet de son œuvre. Celle-ci est en grès non émaillé, et a été réalisée chez un céramiste dans le sud de la France. Pourquoi un ange, et de quoi se venge-t-il ? Simone Fattal l’a imaginé après l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Loin d’elle, malgré tout, l’idée d’être dans le registre de la complainte : l’ange vengeur est triomphant, et se dresse sur ses deux longues jambes. Peut-être regarde-t-il au loin ce port de Beyrouth où longtemps l’écho a renvoyé « le son du canon sur l’étendue de la mer », écrivait Etel Adnan dans sa nouvelle Un million d’oiseaux. Peut-être regarde-t-il cette ville, témoin de tant d’affrontements et si chère à Simone Fattal ? « Il y a eu tant de guerres, il y en a tant encore, soupire Simone Fattal. Cet ange, c’est celui qui doit amorcer le changement, mener à l’arrêt des conflits. »

Un peu plus loin, une stèle du Baal au foudre : découvert en 1932 dans l’ancien royaume d’Ougarit (au nord-ouest de la Syrie), le bas-relief représente le dieu de la fertilité et de l’orage. Chevaucheur des nuées, il protège la cité à la manière de l’ange vengeur de Simone Fattal. « Quand je travaille, toute cette histoire me revient, souffle-t-elle. Ça me vient par hasard, grâce à la littérature. Mais ça me vient surtout parce que la Mésopotamie, nous y sommes nés, nous y habitons. Il y a des liens avec nous, encore aujourd’hui. » Quelques mètres plus loin, un guerrier aux longues jambes « s’est cassé le col du fémur », plaisante Simone Fattal. Elle explique : « Souvent quand je travaille ce type de personnage, une jambe se brise. J’ajoute alors de l’émail pour souder la sculpture. » Le guerrier revient de la guerre. Laquelle ? Simone Fattal ironise : « Vous avez le choix... Quand j’ai commencé à faire de la sculpture, il y avait déjà la guerre au Liban. »

Appréhender différemment

Alors qu’elle zigzague entre les groupes, Simone Fattal attire notre attention sur une vitrine où plusieurs statuettes phéniciennes en grès orangé se donnent la réplique. Les yeux ont besoin de temps avant de distinguer que l’une d’entre elles diffère un peu des autres. « Mon Menhir a une forme plus archaïque que les objets de la vitrine, s’amuse l’artiste, qui l’a conçu en 2019. J’ai proposé une œuvre qui fait vraiment écho aux statuettes phéniciennes. » Le lien est en effet frappant, notamment dans la couleur des objets, que des milliers d’années séparent. « La terre est laissée dans son caractère et la couleur du grès varie en fonction du four », précise Simone Fattal. Un heureux hasard, alors, que cette ressemblance ? « C’est comme si les références étaient en moi, sans que j’en aie pleinement conscience », ajoute la sculptrice distraite par l’arrivée d'Ariane Thomas, directrice du département des Antiquités orientales. Le visage des deux femmes s’illumine : l’amitié et l’admiration réciproque sont visibles. « Le travail sur les antiquités orientales est récent. Il reste encore aujourd’hui beaucoup d’inconnues, explique la conservatrice. Travailler avec Simone Fattal permet d’appréhender la discipline différemment, avec beaucoup de liberté. »

Au cœur des vestiges phéniciens, les ex-voto de Byblos (IIe millénaire avant notre ère) dialoguent avec le Humbaba en grès de Simone Fattal. « Cette œuvre incarne autrement un personnage très représenté dans les antiquités orientales, souligne Ariane Thomas. Souvent, l’accent est mis sur son visage ou sur son meurtre par Gilgamesh et Enkidu. » Mais pas dans l’œuvre de Simone Fattal, où la silhouette d’Humbaba semble traversée de vibrations. Sont-elles des résonances du cri que le géant, qui garde la forêt des Cèdres dans l’épopée de Gilgamesh, pousse pour se protéger ? « Quand il ouvre la bouche, la terre tremble, continue Ariane Thomas. Nous avons décidé de placer cette œuvre dans la salle dédiée à Byblos, car c’est dans cette zone qu’il se trouvait avant d’être vaincu. » Ainsi les échos sont multiples, en particulier dans la manière dont Simone Fattal parvient à évoquer plastiquement un personnage littéraire. « Je m’intéresse beaucoup aux textes, affirme la sculptrice, qui fut la première éditrice chez Post Apollo Press de la traduction anglaise de Sitt Marie Rose, écrit par sa compagne Etel Adnan. Avant, lorsque je peignais, c’était très lié au paysage. J’ai arrêté en quittant le Liban pour la Californie, car les paysages là-bas ne me faisaient pas le même effet. Dès que j’ai commencé à faire de la sculpture, des personnages littéraires ont émergé. Mais je ne le fais pas exprès : je fais des images qui ressemblent à celles d’une autre époque. » Des images qui rendent ces vestiges on ne peut plus actuels.

Une vitrine du département des Antiquités orientales du Louvre dans laquelle est exposée une œuvre de Simone Fattal.
Une vitrine du département des Antiquités orientales du Louvre dans laquelle est exposée une œuvre de Simone Fattal.
Photo : Marine Vazzoler.
Une vitrine du département des Antiquités orientales du Louvre dans laquelle est exposée une œuvre de Simone Fattal.
Une vitrine du département des Antiquités orientales du Louvre dans laquelle est exposée une œuvre de Simone Fattal.
Photo : Marine Vazzoler.
Simone Fattal.
Simone Fattal.
Photo : Marine Vazzoler.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Musée du Louvre / Audrey Vigier.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Musée du Louvre / Audrey Vigier.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Musée du Louvre / Audrey Vigier.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Musée du Louvre / Audrey Vigier.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Musée du Louvre / Audrey Vigier.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
L’exposition « Voix des antiquités orientales » de Simone Fattal au département des Antiquités orientales du Louvre.
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Musée du Louvre / Audrey Vigier.
Stèle du dieu Baal au foudre, 15e siècle av J.-C., Syrie. Département des Antiquités orientales du Louvre.
Stèle du dieu Baal au foudre, 15e siècle av J.-C., Syrie. Département des Antiquités orientales du Louvre.
© Wikimedia Commons.

Article issu de l'édition N°2830