« Dans les années 1980-1990, beaucoup des personnes passées par l’École du Magasin ont trouvé des postes. Puis le secteur s’est restreint et on a formé des jeunes gens, des femmes surtout, qui finissaient sur le carreau ». Le constat de Béatrice Josse est sans appel. Pour la directrice du Magasin des Horizons, à Grenoble, former des curateurs et curatrices qui risquent de ne pas pouvoir s’implanter sur le marché du travail est une hérésie. Arrivée en 2016 à la direction d'une institution en pleine crise, l’ancienne directrice du Frac Lorraine observa alors un décalage « entre la formation et la réalité du monde du travail. » Victimes collatérales de luttes internes, les étudiant.e.s de cette formation historique – mais non diplômante – ont pâti d’un « encadrement qui laissait un peu à désirer, observe Guillaume Breton, responsable d'YGREC, plateforme d'expositions de l'école d'art de Cergy. Dans les dernières années de l’École du Magasin, certain.e.s élèves ont quitté la formation en cours, sachant déjà ce qu'on voulait leur apprendre ». Béatrice Josse a alors pris le parti de changer le nom et le projet de la formation, devenue « Atelier des Horizons » : « Nous voulons replacer l’artiste au centre, il doit être partout, explique-t-elle. C’est une déformation plus qu’une formation : on ne cherche pas à amener une certitude ou une manière de penser. »
Un positionnement qui n’a pas fait l’unanimité, certain.e.s reprochant à la directrice de proposer des formats ne permettant pas vraiment de se former à un métier. La curatrice et critique d’art Marianne Derrien se souvient : « La fin de l’École du Magasin fut douloureuse et la formation a été remise en question dans ses fondements. Ce fut une sorte de tabula rasa qui a été assez difficile à vivre pour les anciens élèves. » Aussi brutal ce clap de fin fut-il, il a cependant eu le mérite d’interroger les objectifs du métier de commissaire d'exposition, et par-là même l’absence d’un cursus dédié dans les écoles d’art en France.
En école d’art, rien à signaler
En effet, dans le paysage français actuel, ce sont les universités qui portent la question des formations curatoriales. L’affirmation de cette activité comme métier, à la fin des années 1980, a entraîné la création de formations spécialisées à Rennes II en 1992, Paris IV en 2000, Paris X en 2003 puis Paris I en 2005. En 2009, l’historien de l’art Laurent Jeanpierre publiait, en lien avec l’association c-e-a (Commissaires d'exposition associés), une enquête sur les curateur.trice.s d’art et tirait les conclusions suivantes : « Sur les 100 enquêtés ayant déclaré avoir suivi une formation spécialisée, 14 sont issus de la formation aux métiers de l’exposition de l’Université Rennes 2, 11 de l’École du Magasin de Grenoble, 9 ont suivi le cycle Muséologie de l’École du Louvre, 17 ont obtenu l’un des divers DESS de gestion des événements culturels, 4 ont suivi les formations proposées par le CIPAC ou les FRAC/DRAC. » Si aujourd’hui le paysage a changé, nombre de commissaires d’exposition sortent de masters spécialisés proposés à l’université. C’est le cas, notamment, de Marianne Derrien, diplômée en 2006 du master sciences et techniques de l’exposition de Paris I : « La formation est assez pragmatique. On y découvre les enjeux liés au management, à la coordination de projets, explique-t-elle. Il y a surtout beaucoup d’échanges et de mise en réseau : les intervenants au sein du master offrent notamment la possibilité aux élèves de faire des stages dans les établissements où ils œuvrent. » Vice-présidente de c-e-a, elle se dit « très attentive à ces formations de curateur.trice.s » et a mis en place un cycle de conférences sur les métiers du commissaire d’exposition à Paris 8. Elle ajoute : « Beaucoup de pratiques artistiques intègrent aujourd’hui l’exposition, ce serait donc bien que les écoles d’art s’ouvrent aux études curatoriales. »
À la tête de l’école nationale supérieure d’art de la Villa Arson depuis le début de l’année, Sylvain Lizon ne dit pas autre chose : « Actuellement la frontière est de plus en plus floue : de quel côté de la barrière se situe-t-on ? Il y a de plus en plus de personnes qui se décrivent comme artistes-commissaires. » Si certaines écoles d’art proposent un enseignement, comme celui mené à Cergy par Gallien Déjean sur les « pratiques curatoriales et les écritures critiques », Sylvain Lizon voit de plus en plus les étudiant.e.s partir dans des écoles anglo-saxonnes comme le Royal College of Art ou le Goldsmith College. « Il est nécessaire que les écoles d’art prennent la parole sur le sujet », affirme-t-il avant de nous confier son ambition : créer d'ici l'an prochain une école curatoriale à la Villa Arson en lien avec l’université Côte d’Azur. « Sa forme n’est pas encore stabilisée : master, post-master ou doctorat ». La Villa Arson n’est pas l’unique école d’art à réfléchir à cette ouverture aux commissaires d’exposition : selon nos informations, Judith Quentel, directrice des Beaux-Arts de Quimper, songe également à mettre en place une formation curatoriale diplômante au sein de son école.
L’appel des formations étrangères
Guillaume Breton se souvient : plus jeune, on lui a vivement conseillé de partir à l’étranger et d’apprendre l’anglais pour avoir plus de propositions professionnelles. Formé d'abord à la médiation culturelle, il a ensuite passé une maitrise en sciences et techniques de l’exposition à Marseille. Lorsqu’il décide de reprendre ses études en 2008, la crise financière est à son comble et beaucoup de programmes curatoriaux n’y résistent pas. Il s'inscrit finalement au Royal College of Art and Design, où sont également passé.e.s Marianne Lanavère, actuelle directrice du Centre international d’art et du paysage de Vassivière, et Charles Aubin, curateur à Performa, à New York. Guillaume Breton et Charles Aubin reconnaissent que la dimension internationale de la formation a été cruciale dans leur choix. « Cela ouvre des horizons », confie Charles Aubin. Guillaume Breton tempère cependant : « Pour étudier au Royal College of Art, il faut venir d’une famille aisée ou être éligible à une bourse. Il faut en effet compter 18 000 livres sterling par an. » À ces frais-là s’ajoutent ceux de l’inscription, récemment passés de 3 000 à 9 000 livres. Parallèlement, des formations financièrement plus accessibles se développent, comme le programme de la White Chapel ou celui de De Appel, à Amsterdam, où la jeune curatrice camerounaise Aude Christel Mgba a passé dix mois : « Ce n’est pas une formation en tant que tel, nous dit-elle. Cette résidence est plus l’occasion de découvrir, d’expérimenter. Personne ne nous a vraiment appris quelque chose. » Les résidences curatoriales se développent de plus en plus en France également : la Rennaise Generator à 40mCube, celle de la Maison Populaire à Montreuil ou encore celle de la fondation Kadist, à Paris.
Qu'ils et elles soient à Amsterdam ou Rennes, les jeunes étudiant.e.s disent la même chose : ces formations permettent avant tout de créer du lien, de se faire des contacts essentiels pour exercer ensuite le métier de commissaire d’exposition. Et le fait qu'elles soient incluses dans des écoles ou centres d’art leur permet d’être quotidiennement en contact avec les artistes. Diplômé de Cambridge et de la Städel Schule de Francfort – qui propose également un master d’études curatoriales en partenariat avec la Goethe Universität de Berlin –, l'artiste Simon Fujiwara a fait l’objet de l’exposition finale du master d’études curatoriales du Royal College of Art bien avant d'être présenté à Frieze ou Lafayette Anticipations. Ce qui laisse penser que « les étudiant.e.s et professeur.e.s étaient déjà très connecté.e.s... », conclut Guillaume Breton.