Le marché de l’art a ses art advisors, le marché du design ses interior designers – autrefois nommé.e.s marchands merciers, ensembliers.ères, aujourd'hui également décorateurs.trices... Pour Frédéric Chambre, directeur général de Piasa, outre les collectionneurs.ses, « trois entités sont essentielles dans le marché du design : les maisons de vente aux enchères, les marchands et les architectes d’intérieurs. Si les autres ne font que vendre, ces derniers imaginent, conseillent et soumettent : ils ou elles ont le talent de comprendre l’univers de vie des clients, de le mettre sur le papier et de proposer des objets en adéquation. » Historiquement opposés aux Beaux-Arts, les arts décoratifs et le design ont souffert d’une certaine dépréciation, menant à une connaissance moindre de la part du public. Chargées d’histoire et de significations, les objets, aux esthétiques diverses peuvent remplir plusieurs fonctions et déterminer une façon de vivre – placer un vase de Jean Dunand à côté d’une bergère du XVIIIe siècle n’a pas le même sens que de mêler une bibliothèque de Charlotte Perriand à une banquette de Pierre Jeanneret.
Voilà le travail de l’architecte d’intérieur : « Créer un dialogue entre les œuvres pour raconter aux clients l’histoire de leur maison », comme le résume Pierre Yovanovitch, l’un des plus influents du moment. Mis en évidence lors de l’exposition « La Fabrique du luxe », présentée l’hiver dernier au musée Cognacq-Jay, les marchands merciers étaient négociants, importateurs, collecteurs, designers et décorateurs, et jouaient un rôle primordial dans l’établissement des modes. Ce sont les ancêtres des architectes d’intérieur, qui sont aujourd’hui les représentant.e.s d’un nouveau type de connoisseurship, indispensables au marché et à une clientèle exigeante et fortunée.
Mythe et réalité de la démocratisation de clientèle
Caroline Sarkozy, architecte d’intérieur depuis une trentaine d’années, ne le cache pas : rien ne sert de faire appel à sa corporation en-dessous d’un certain montant. Isabelle Bresset, directrice associée du département Mobilier & Objets d’Art chez Artcurial, rappelle quant à elle que « la société s’est globalement enrichie depuis le XVIIIe siècle. Avant, seule une élite européenne restreinte composée de familles royales et d’aristocrates faisait appel aux marchands merciers. » Si l’onde s’est progressivement propagée à un milieu confidentiel de bourgeois pointus, elle a fini sa course au sein des nouvelles classes fortunées de notre société…