Connecting people ? On connaît la rengaine. Tout réseau a pour ambition de resserrer les liens d’une communauté, de diffuser sa bonne parole, de défendre ses intérêts, blablabla. Dans chaque région, les structures d’art contemporain ont compris la donne et se sont réunies en associations plus ou moins lobbyistes, plus ou moins actives, de Botox(s) sur la Côte d’Azur à Lora en Lorraine. Mais un nouvel horizon s’est ouvert il y a quatre ans bouleversant leur façon d’agir et leur raison d’être. Cette petite révolution a un vilain nom : SODAVI, pour Schéma d'orientation pour le développement des arts visuels. Un acronyme de plus, destiné à se noyer entre FRAC, DGCA, DCA et autres ? À en croire les témoignages de celles et ceux qui se sont emparés de ce nouvel outil, il pourrait faire advenir nombre de changements dans un milieu de l’art sclérosé et précarisé.
Divers axes de réflexion
Par quel miraculeux processus ? Lancés en 2015 par le ministère de la Culture, ces encore discrets SODAVI ont « pour objectif d’établir un diagnostic de l’existant et des manques éventuels, mais aussi de recenser et de fédérer le travail de l’ensemble des acteurs dans un processus de concertation non hiérarchisée ». Langue de bois ? Cela l’aurait été si chacun des réseaux régionaux ne s’était saisi de l’occasion pour faire une totale mise à plat de la situation des arts plastiques, afin d’espérer l’améliorer un jour. La formation continue, les métiers d’art, les conditions de production… Grâce à un financement de chaque DRAC, chaque réseau ou conjonction de réseaux a choisi un axe de réflexion plus ou moins resserré.
« En 2016, quand la région Grand Est est née de la réforme des régions, le SODAVI nous a donné une opportunité en or pour créer un espace de concertation entre tous les acteurs qui travaillent sur des territoires extrêmement différents et dans des structures des plus variées, résume Adeline Garnier, la coordinatrice de l’association Versant Est, regroupement de 23 structures alsaciennes. Nous avons créé un comité de pilotage et lancé avec deux sociologues de Paris 8 une étude sur la place de l’artiste au sein de notre écosystème. » Avec plus de 100 entrées, des questionnaires très détaillés sont envoyés : 1 500 aux artistes, dont 660 répondent ; 210 aux lieux, pour 71 réponses. « Données socio-économiques, fiscales, logement, collaborations, formation, ressources, mobilité nationale ou transfrontalière sur le territoire : nous avons aujourd’hui une base de données unique, qui nous permet d’appréhender les déséquilibres des territoires : entre la Meuse très rurale, Reims très proche de Paris et Mulhouse à deux pas de la Suisse, les logiques de connexion sont très diverses. Cet outil va nous permettre de mieux coordonner le parcours de l’artiste et de parler d’une seule voix. » Depuis fin juin, des ateliers thématiques ont été organisés de Nancy à Troyes en passant par Metz, afin de recueillir les expériences et les doléances, et de monter un répertoire de préconisations, qui sera présenté à l’automne. « Le SODAVI a permis des rencontres inédites, poursuit Adeline Garnier. Par exemple, le responsable du service attractivité de Mulhouse a compris la plus-value que pouvait représenter des résidences d’artistes sur son territoire. »
Rémunération et statut au cœur des doléances
En Île-de-France, le réseau Tram, qui regroupe une trentaine de centres d’art de Paris à Maubuisson, s’est montré tout aussi volontariste. Il a axé sa réflexion sur le parcours de l’artiste. La première année, phase de diagnostic, « a permis de réaliser combien nous manquions de données fiables, entre les artistes auto-entrepreneurs et ceux aux RSA, nombreux échappent aux mailles du filet », analyse Aude Cartier, présidente de Tram. Épaulé par l’agence d’art contemporain amac, le comité de pilotage a mené une quinzaine d’entretiens poussés avec des plasticiens, collecté un maximum de données et intégré les plasticiens au sein même de ses recherches, du collectif d’étudiants Folle Béton au Wonder de Nanterre, avant d’entrer dans le vif du sujet. Clichy-Montfermeil, Vitry-sur-Seine, Jeu de Paume : trois journées de concertation plus tard, un cahier de doléances est en cours de rédaction. Riche d’une cinquantaine de propositions, il sera dévoilé le 22 novembre prochain. Ses grandes thématiques ? « La question de la rémunération et du statut est bien sûr très présente, comme celle du manque d’ateliers, dévoile Aude Cartier, mais aussi le désir d’un lieu qui centralise les infos, juridiques, fiscales, statutaires. Nous portons toutes ces préconisations avec les artistes, on n’est pas là pour tout décider de notre hauteur. Tout ce qui est proposé est applicable et pragmatique, nous ne sommes pas du tout dans l’utopie. »
Ces revendications devraient tomber au moment où Bruno Racine remet au ministère de la Culture son rapport sur le statut des artistes. Il est raisonnable d’espérer que les différentes réflexions iront dans un même sens, positif. L’opportunité, enfin, pour le ministère, de transformer son slogan « Artistes au cœur de la société » en action ?