Préparer correctement sa succession pour éviter les conflits après son décès : une préoccupation doublée d’une inquiétude
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser récemment les droits des filles du collectionneur Georges Pébereau. Celui-ci est décédé en 2012 et sa veuve était, par l’effet de la loi, usufruitière. Les époux étaient séparés de biens et le collectionneur avait laissé des testaments et codicilles qui donnèrent lieu à un pataquès d’interprétations contradictoires tranché finalement par la Cour de cassation en 2019, ce qui m’amène à un premier conseil. En matière successorale, les notaires sont indispensables car ils connaissent le droit général des successions ; sauf que bien peu connaissent les spécificités du droit des œuvres et encore moins le droit d’auteur et les spécificités du droit des successions en propriété intellectuelle, lequel est dérogatoire au régime commun. Préparer correctement sa succession pour éviter les conflits après son décès est souvent une préoccupation doublée d’une inquiétude, dont témoigne ici la multiplication des actes laissés par le défunt. La meilleure façon de procéder est de demander conseil à des notaires et à des avocats spécialistes en leur imposant de travailler en équipe.
L’intérêt de la médiation dans le conflit successoral
Ensuite, en cas de conflit – les conflits sont malheureusement inévitables dans certaines successions et d’autant plus violents que le décès libère les rancœurs que le défunt n’a pas su ou pu apaiser – , chacun devrait penser à la médiation. Surtout pas la médiation familiale, qui, de mon point de vue, n’est pas adaptée, mais la médiation business ou notariale. La médiation est une technique de résolution des conflits qui permet aux parties de s’expliquer et de réapprendre à s’écouter et à s’entendre. D’autre part, le médiateur ou la médiatrice ne prend pas de décision comme un arbitre et ne les conseille pas comme un avocat ou un notaire ; il ou elle les aide à trouver eux-mêmes une solution qui soit la moins mauvaise pour chacun. Les résultats sont étonnants. Je pratique la médiation à la fois comme avocate pour mes clients et désormais comme médiatrice ; pour peu qu’on ait le cœur bien accroché face aux gens qui ont envie de s’étriper, on arrive souvent – pas toujours, mais souvent – à les aider à sortir eux-mêmes de leur conflit en apaisant la situation.
Les droits des nus-propriétaires et ceux des usufruitiers
Revenons à la succession Pébereau. Les trois filles – nues-propriétaires –, doutant sérieusement de la veuve séparée – ufruitière de la collection –, voulaient un inventaire contradictoire de la collection de dessins et de bronzes. La Cour de cassation décide, contre leur mère qui invoquait l’inventaire fait par le notaire à l’ouverture de la succession, que les filles avaient le droit à un inventaire contradictoire en leur présence (Cour de cassation 1e civile, 6 mars 2019). Quel est l’enjeu ? L’usufruitier, qui détient la collection, doit la conserver et la rendre en parfait état au jour de sa mort. Le défunt peut dispenser sa femme usufruitière d’avoir à payer l’inventaire, mais ne peut prévoir qu’il n’aura pas lieu, car c’est un droit fondamental des nus-propriétaires. Dès lors, un autre conseil qui s’adresse cette fois aux notaires lors de l’ouverture de la succession : pour éviter ce type de conflit, appelez l’ensemble des héritiers à l’inventaire.
Enfin, les trois sœurs voulaient que leur mère subisse une visite annuelle des œuvres, demandaient le placement des œuvres dans un garde-meuble sécurisé, des scellés sur les cadres et une interdiction de tout transport. La confiance régnait…Les juges refusent de telles mesures et soulignent que le défunt avait, malgré la grande valeur de la collection, déchargé la mère de son obligation légale de caution (article 601 du code civil). C’est donc qu’il avait confiance en elle, expliquent-ils à juste titre.
Quant aux raisons qui pourraient justifier de telles mesures, les juges affirment qu’aucune initiative déraisonnable ne peut être reprochée à l'usufruitière de nature à les justifier, le seul fait invoqué – à savoir le prêt d'une œuvre de cette collection à un prestigieux musée américain – ne pouvant pas être considéré comme tel, alors que ce type de circulation des œuvres relève d'un usage courant et contribue au contraire à la valorisation d'une collection. Il s’est donc trouvé un avocat pour soutenir le contraire. On croit rêver.
Mais les filles ne sont pas démunies pour autant. Comme tous les nus-propriétaires, elles peuvent, tout à fait légitimement, contrôler le droit de jouissance de leur mère – si après cela, vous ne saisissez pas la dimension psychanalytique du droit, je jette l’éponge. Par exemple, elles pourraient demander des mesures conservatoires et mettre en jeu la responsabilité civile délictuelle de leur mère, si celle-ci en venait à porter atteinte à la substance de la collection ou ne respectait pas son obligation d’entretien et de conservation. Encore leur faut-il avoir des raisons valables de le faire. Et là, de fait, la question de l’accès aux œuvres se pose.
Conclusion : une bonne convention, plutôt qu’un mauvais procès
D’où un dernier conseil. Les usufruitiers et les nus-propriétaires ont des intérêts convergents. Ils ont donc tout intérêt, même en cas de conflit déclaré comme celui-ci, à rédiger un contrat qu’on pourra appeler comme on veut – convention, protocole, peu importe –, pourvu qu’il permette, dans l’équilibre, de rassurer chacun. Là, le droit sert à quelque chose de constructif : éviter les conflits et permettre à chacun de s’apaiser.