Le Quotidien de l'Art

Politique culturelle

Collections nationales : le « Catalogue des désirs » face aux réalités

Collections nationales : le « Catalogue des désirs » face aux réalités
Couverture du Catalogue des désirs 2018/2019.
© Ministère de la Culture.

L’annonce avait fait couler beaucoup d’encre. Chahutée par la proposition de prêter la Joconde, Françoise Nyssen lançait il y a tout juste un an le « Catalogue des désirs », destiné à renforcer l’itinérance des collections nationales. Depuis, qu’en est-il ?

C’était le point de départ d’une vaste politique de mise en circulation des collections publiques. Le 11 juin 2018, la ministre d’alors, Françoise Nyssen, s’enorgueillissait de concrétiser son plan « Culture près de chez vous » et brandissait un catalogue nommé « désirs », répertoriant un demi-millier d’œuvres que les musées nationaux proposaient en prêt (lire le Quotidien de l'Art du 11 juin 2018). Il ne restait aux établissements culturels territoriaux qu’à faire leur marché.

Le dispositif n’était pas encore officiel que plusieurs musées se ruaient déjà sur l’opportunité. La Femme à l’éventail de Goya, du Louvre, était déjà réservée jusqu’en février 2020 par le musée des Beaux-Arts d’Agen. Le musée Edmond Rostand, à Cambo-les-Bains, sélectionnait l’Autoportrait de Clémentine-Hélène Dufau, du musée d’Orsay (jusqu’en novembre). À Châteauneuf-sur-Loire, le prêt par la BnF d’une chaîne d’entrave d’esclaves du XVIIIe siècle et de deux essais de l’Abbé Grégoire permet jusqu’au 1er septembre au musée de la Marine d’évoquer l’esclavage et ses opposants, tandis que le Portrait de François Ier de Titien (Louvre) a fait le voyage jusqu’à fin mai au musée d’Évreux. Au final, une quarantaine de projets auront été permis, soit, sur les 477 œuvres proposées, seulement 80 prêts accordés.

« Nous avions voulu emprunter à la BnF un manuscrit basque très symbolique, nous explique Anna Ruiz-Delval, responsable du Centre d’éducation au patrimoine d’Irissarry (Pyrénées-Atlantiques), mais cela n’a pas été possible car nous ne sommes pas un musée, avec les normes de conservation et de sécurité adéquates. Nous étions pourtant la cible de cette initiative alléchante, mais qui s’est vite confrontée à la réalité du terrain. » Ainsi, si le ministère prenait à sa charge les frais de transport et d’assurance des œuvres (250 000 euros ont été déboursés pour l’ensemble des projets), cela ne valait que pour les établissements labellisés « musées de France », alors que les médiathèques et autres centres culturels étaient au départ dans le viseur de la ministre. Autre difficulté financière, les frais liés à la mise aux normes des édifices désireux de répondre aux standards de conservation étaient éligibles à une subvention des Drac, qui ne pouvait être versée qu’après règlement de la facture par la collectivité propriétaire du musée, à la trésorerie parfois délicate.

Vers un nouvel établissement centralisateur

« Toutefois, le Catalogue a ouvert une porte et a permis de créer des contacts, tempère Anna Ruiz-Delval. Si on a renoncé au manuscrit, je garde dans un coin de ma tête la possibilité un jour de faire un autre projet avec un grand musée car désormais nous avons entamé les démarches. La trame est prête. » Probablement est-ce face au nombre de ces demandes irrecevables pour des raisons de sécurité que le projet a été abandonné. « Si le Catalogue n’existe plus, il a laissé une dynamique, analyse Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans et co-commissaire avec Sylvain Amic du dispositif. Cela a aussi lancé une réflexion plus large sur la manière de fluidifier les prêts sur tout le territoire. Enfin, les élus se sont sentis très concernés et ont compris ce qu'implique une demande de prêt en matière de budget de fonctionnement, de communication, de médiation… Le Catalogue a fait bouger les choses. »

Et ce n’est pas fini. Selon nos informations, le dispositif pourrait trouver une continuité dans la création d’une structure ad hoc, type GIP (groupement d’intérêt public) pour chapeauter les demandes de prêts entre musées afin de les extraire de relations interpersonnelles de conservateurs et les ouvrir à d’autres interlocuteurs. Un dispositif de préfiguration pourrait être annoncé à la rentrée.

Tiziano Vecellio dit Titien, Portrait de François Ier, 1538 - 1539, huile sur toile, 109 x 89 cm. Présenté à Évreux du 9 février au 5 mai 2019 dans le cadre du projet « Le catalogue des désirs ».
Tiziano Vecellio dit Titien, Portrait de François Ier, 1538 - 1539, huile sur toile, 109 x 89 cm. Présenté à Évreux du 9 février au 5 mai 2019 dans le cadre du projet « Le catalogue des désirs ».
LD.
Gustave Doré, L'Enigme, 1871, huile sur toile, 130 × 195,5 cm. Exposition « Se souvenir de 1870 : l'Énigme de Gustave Doré », labellisée "Catalogue du désir" dans le Grand Est, au Musée de la Guerre de 1870 et de l'Annexion, à Gravelotte, jusqu'au 15 décembre 2019.
Gustave Doré, L'Enigme, 1871, huile sur toile, 130 × 195,5 cm. Exposition « Se souvenir de 1870 : l'Énigme de Gustave Doré », labellisée "Catalogue du désir" dans le Grand Est, au Musée de la Guerre de 1870 et de l'Annexion, à Gravelotte, jusqu'au 15 décembre 2019.
© Patrice Schmidt/musée d'Orsay.
Exposition au Centre d'Education au patrimoine, installé dans l'ancienne Commanderie Ospitalea à Irissarry.
Exposition au Centre d'Education au patrimoine, installé dans l'ancienne Commanderie Ospitalea à Irissarry.
Photo Harrieta171.
Olivia Voisin et Sylvain Amic, lors de la présentation du Catalogue des désirs par Madame Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, le 11 juin 2018.
Olivia Voisin et Sylvain Amic, lors de la présentation du Catalogue des désirs par Madame Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, le 11 juin 2018.


© Didier Plowy/Ministère de la Culture.

Article issu de l'édition N°1754