L’immense émotion provoquée par les flammes qui ont dévoré les 20 millions d’œuvres et objets de la collection du Musée national est encore vive. Au-delà du Brésil, l’interminable liste des trésors archéologiques, ethnologiques et paléontologiques perdus à tout jamais n’a pas tardé à mobiliser les Européens. Début juin, le directeur du musée, Alexander Kellner, s’est rendu à Paris, Berlin et Munich. Il a rencontré notamment le président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, qui a évoqué le possible prêt de plusieurs pièces de sa collection égyptienne. « Cela a une très grande valeur pour nous car la majeure partie de la population n’a pas les moyens de connaître les musées en Europe », a déclaré Alexander Kellner. Une information encore non confirmée par le plus grand musée d’antiquités au monde. « C’est une coopération sur le très long terme, on travaille sur 25 ans », explique Michel Miraillet, ambassadeur de France au Brésil.
L’Italie vient quant à elle de confirmer le prêt de plusieurs œuvres sur 20 ans. L’accord de coopération prévoit qu’en attendant que le Musée national soit prêt, les statues de marbre et peintures prêtées soient exposées au consulat italien de Rio. « Qui va vouloir découvrir des collections que tout le monde aura déjà vues exposées au consulat ? », se désole pourtant le directeur du musée brésilien. Teresa Cristina, épouse de l’empereur Dom Pedro II qui a vécu dans le palais devenu musée, avait apporté d’Italie 700 œuvres, dont des objets datant de l’éruption du Vésuve, détruits par l’incendie l’an dernier. Le British Council a également contribué à hauteur de 150 000 reais (35 000 euros) et le gouvernement allemand a concédé une aide pouvant aller jusqu’à 4,4 millions de réais (un million d'euros).
Des dons, pas des prêts
Mais pour Alexander Kellner, les priorités sont autres : « Pour le moment, j’ai besoin de reconstruire le musée, de mettre les œuvres à l’abri et, pour cela, j’ai besoin de dix containers », martèle-t-il. Les travaux sont évalués à 100 millions de réais (23 millions d'euros). À ce jour, le Musée national a besoin de lettres de soutien, ce que le Muséum d’Histoire naturelle à Paris s’est engagé à faire, en plus d'échanges universitaires. « Il faut des donations d’œuvres, pas des prêts, aussi belles et rares soient ces œuvres ! Sans cela, je ne vais jamais reconstituer nos collections. Nous ne demandons pas à ce que la France nous donne une rareté, mais l’une de ses nombreuses pièces archéologiques serait de grande valeur pour nous, sans compter le formidable partenariat France-Brésil que cela représenterait », estime Alexander Kellner.
Plusieurs colloques sont organisés à l’initiative des Européens. En septembre prochain, les professionnels de la culture se pencheront à Rio sur « les défis contemporains de la mémoire » et en 2020 un colloque franco-allemand réfléchira à l’avenir des musées au Brésil. La semaine dernière, les Italiens ont organisé un forum sur le thème du « musée comme laboratoire, entre mémoire et innovation ». La vice-ministre de la Culture italienne et les directeurs du parc archéologique d’Herculanum et du Musée archéologique de Naples se sont félicités de l’accord de coopération signé à l’issue de cette rencontre.
La culture dans l’angle mort de Bolsonaro
Mais le contexte politique et économique reste le principal obstacle à ces coopérations culturelles et scientifiques transatlantiques. « On ne sait pas quelles sont les conditions d’accueil et de conservation des œuvres, qui sont la propriété de la République française. L’émotion est légitime, mais on doit avoir une réflexion plus structurée sur la conservation du patrimoine brésilien dans un contexte difficile. Ce n’est pas exactement la tasse de thé de Jair Bolsonaro, qui a supprimé le ministère de la Culture », analyse Michel Miraillet. De fait, l’arrivée au pouvoir du nouveau président d’extrême-droite, en janvier dernier, ne contribue pas à rassurer certains observateurs étrangers.
Quelques semaines avant son élection, le Musée national avait été directement victime des coupes budgétaires infligées par le gouvernement de Michel Temer à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), administratrice de l’établissement. Le musée ne bénéficiait d’aucun système anti-incendie quand le feu s’est déclaré. La France a donc invité les officiers supérieurs des pompiers de Rio à Versailles et au Louvre. Impossible de ne pas penser au drame de Notre-Dame, certes… Et face à l’ampleur des dons mobilisés pour reconstruire la cathédrale, la générosité de la milliardaire brésilienne Lily Safra a posé question au Brésil. « Je me félicite qu’une Brésilienne se mobilise pour sauver un bien culturel, mais sur les 10 millions d’euros qu’elle a donnés à Notre-Dame, si elle ne nous en donnait qu’un million, ce serait très précieux », observe le directeur du musée de Rio de Janeiro.