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En Allemagne, le projet hautement symbolique du musée de l'Exil

En Allemagne, le projet hautement symbolique du musée de l'Exil
Le portique de l'ancienne gare d'Anhalt, Berlin, terrain envisagé pour le projet de l'ExilMuseum.
Photo René Arnold/© Stiftung Exilmuseum, Berlin.

La liste est longue. Entre 1933 et 1945, plus de 500 000 personnes ont fui le régime nazi. Parmi elles, des écrivains, des musiciens et des artistes comme Franz Hessel, Stefan Heym, Hans Richter, Hans Bellmer et Walter Gropius. Avec en tête, l’objectif de créer le premier musée de l'Exil en Allemagne, le galeriste berlinois Bernd Schultz a vendu sa collection privée d’art sur papier, dont des œuvres de Picasso, Degas, Modigliani et Warhol. Les 300 dessins ont été adjugés pour plus de 400 000 euros. La valeur totale de la collection était estimée à 5 millions. Avec 6,3 millions d’euros, la vente a dépassé toutes les attentes. Fondateur de la célèbre maison de ventes Villa Grisebach, le collectionneur, né en 1941 à Düsseldorf, veut aujourd’hui contribuer à créer à Berlin un musée dans lequel sera rappelée l’histoire de celles et ceux qui ont quitté l’Allemagne ou les territoires dominés par les Nazis. « C’est absolument nécessaire pour remonter le fil de notre histoire. Ce musée devrait être un symbole contre toute forme d'expulsion », a-t-expliqué. Pas seulement. Ce musée veut aussi montrer la perte que l’émigration a causée dans toutes ses formes et dimensions. Selon Bernd Schultz, il doit illustrer le fait que la culture de Weimar, qui allait du Bauhaus à l’UFA (Universum Film AG) – une des sociétés de production cinématographique les plus importantes de la première moitié du XXe siècle – devait beaucoup aux artistes partis en 1933.

Terrain miné

À l’origine de ce projet, il y a l’écrivaine Herta Müller. La lauréate du prix Nobel de littérature 2009 a connu l’exil, ayant fui la Roumanie sous la dictature de Nicolae Ceaușescu pour s’installer en Allemagne, en 1987. L'expérience de l'exil est devenue le thème de sa vie. La plupart de ses livres (Le Renard était déjà le chasseur, La Convocation ou La Bascule du souffle) parlent du traumatisme de perdre sa maison, de la douleur de vivre sous un système totalitaire et de s’exiler. « Nulle part dans ce pays, il n'existe un endroit où l'on puisse illustrer le contenu du mot "exil" à travers des destins individuels. Dans un musée de l’Exil, les jeunes Allemands pourraient se faire une idée de tout cela », a-t-elle écrit sur la page d'accueil du site de la fondation Exilmuseum. L’auteure, âgée de 65 ans, en est la marraine et s’est engagée depuis longtemps pour la création d’un musée sur l’exil. En 2011, elle a adressé une lettre ouverte à la chancelière Angela Merkel (CDU), dans laquelle elle a réclamé un « Museum des Exils », faisant un constat amer : autour de ce thème règne aujourd’hui la même ombre qu’en 1945.

Au conseil d’administration de la fondation qui gère les fonds et le développement du projet siègent des personnalités connues telles que Mathias Döpfner, PDG du groupe de médias Axel Springer, André Schmitz, ex-secrétaire d’État à la Culture, et le collectionneur d’art et avocat berlinois Peter Raue. Le musée, une initiative purement privée, aura sa place très probablement au cœur de Berlin. Le plan prévoit une construction d’environ 4 000 m2, tandis que les architectes pressentis sont David Chipperfield, Volker Staab, Frank Gehry et Peter Zumthor. Le coût du bâtiment est estimé entre 25 et 30 millions d’euros. Un terrain proche de la gare d'Anhalt, ancienne gare centrale de Berlin dont il ne reste aujourd’hui que le portique, est envisagé. L’endroit est très symbolique. « D'ici sont parties en exil des dizaines de milliers de personnes, dont Heinrich Mann, Alfred Döblin et George Grosz », a déclaré Christoph Stölzl, ancien directeur du Musée historique allemand de Berlin, qui devrait prendre la direction du musée de l'Exil. Dans le contexte du débat actuel sur la politique de migration, ses initiateurs s’aventurent sur un terrain miné.  

Bernd Schultz.
Bernd Schultz.
© Villa Grisebach/Fotostudio Bartsch, Berlin.
Herta Müller.
Herta Müller.
DR.
Oskar Kokoschka, Selbstbildnis, 1920. Dessin de la collection de Bernd Schultz, vendu 362 500 euros (frais inclus) le 26 October 2018 au profit de l'ExilMuseum de Berlin.
Oskar Kokoschka, Selbstbildnis, 1920. Dessin de la collection de Bernd Schultz, vendu 362 500 euros (frais inclus) le 26 October 2018 au profit de l'ExilMuseum de Berlin.
© Villa Grisebach.

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