Le Quotidien de l'Art

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Mea culpa

Mea culpa
Couverture de l'Hebdo du 31 mai 2019
Yasmine Gateau

Tal Coat ? Vieillot, dépassé, pour ne pas dire... provincial. Notre jugement sur cette peinture se voulait sans appel. Quant à son fonds, nous ne pouvions que mal le juger puisqu’il s’était substitué à un centre d’art pointu au domaine de Kerguéhennec. Comme s’il fallait reprocher à un homme mort en 1985 une postérité bretonne décidée par des édiles en manque de tourisme... S’acharner sur un artiste snobé par les saints patrons de la critique et des musées, quelle audace !

C’est fort de ce conformisme péremptoire que nous avons franchi le seuil de l’exposition que lui consacre la galerie Christophe Gaillard. Et là, on a soudain pris la mesure du talent d’un coloriste. Et d’une trajectoire, celle d’un Breton croisant la route d’un grand artiste suisse, Giacometti. 

Morale de l’histoire ? Une œuvre ne peut être vue ou lue indépendamment des murs qui la soutiennent. Pas plus que des mots choisis pour l’éclairer. On l’a constaté avec Martin Barré, longtemps circonscrit à la seconde école de Paris. Jusqu’à ce que des galeries d’art contemporain, comme Nathalie Obadia ou Andrew Kreps, le repositionnent dans la posture du pionnier. Et que de plus jeunes critiques ou artistes s’en réclament. On l’a vu aussi avec Steven Parrino, dont les toiles froissées valaient 10 000 euros chez le marchand parisien Jean Brolly, puis chez le surpuissant Larry Gagosian, plus d’un million de dollars. Le décorateur Axel Vervoordt en sait quelque chose, lui qui a réussi à faire grimper les prix d’un Shiraga longtemps associé à l’École de Paris.


Mais il est une autre morale, en guise de mea culpa. Quel critique même le plus indépendant et ouvert peut se targuer de distinguer le talent à l’aveugle, comme pour les dégustations de vin ? Accessoirement, il serait intéressant qu’un artiste reconnu adresse une de ses œuvres sans la signer à un collectionneur établi… Lequel d’entre nous sait résister aux pressions pêle-mêle de l’argent, du pouvoir, de la branchitude, de l’amitié, de sa génération, du bon goût, osant affirmer le sien, de goût, sans craindre de passer pour ringard ? Laissons à Tal Coat le mot de la fin : « À vouloir être de son temps, on peut être du temps des autres et non du sien ». À méditer.

Roxana Azimi

Article issu de l'édition N°1734