Jean-Paul Perbost est bavard, très bavard. Ses mains virevoltent à la vitesse de l'éclair et son regard, souriant, scrute celui de son interlocuteur. Originaire de Toulouse, ce touche-à-tout n'a pas toujours été guide-conférencier en LSF : détenteur d'une maîtrise de biologie animale, lui qui dit avoir été « sauvé à la naissance grâce à une injection d'eau de mer », a obtenu en 1971 un D.E.A. d'océanographie biologique, à Paris. Ce n'est que 18 ans plus tard, en 1989, qu'il débute une formation avec l'association A.A.V.I.S (Association Art Visuel International des Sourds), dont il sort diplômé en 1993, officiellement comme « conférencier des musées de France, de la Ville de Paris et des monuments nationaux pour les publics sourds ». Avant cela, Jean-Paul Perbost, bilingue en français, mais pas à l'aise avec l'oralité car né complètement sourd, n'est pas encore membre de l'association. Il donne des cours de français à l'Institut national des Jeunes Sourds de Paris, rue Saint-Jacques : « La fondatrice de l'association, Béatrice Derycke, a contacté l'institut, disant qu'elle était à la recherche de conférenciers sourds, nous confie-t-il. J'ai décidé de me lancer ! » Avec huit autres futur.e.s conférenciers et conférencières, il suit les trois années de cette formation pilote : « Nous étions tous très soudés, se souvient-il. Ce furent des années très riches en échanges. » Échanger, c'est le cœur de la vie de Jean-Paul Perbost : « J'ai la passion de l'art et de la langue des signes, s'enthousiasme-t-il. J'adore être à l'aise dans la communication et j'ai besoin de parler. »
Des visites guidées pour les sourd.e.s par les sourd.e.s
Permettre aux personnes mal ou non-entendantes de s'approprier ou de se réapproprier les connaissances en histoire de l'art, en histoire de l'architecture... tel était l'objectif de la formation lancée par Béatrice Derycke. Jean-Paul Perbost explique à quel point il est important que les personnes sourdes puissent transmettre directement, « en langue des signes, leur propre langue, ce savoir à d'autres personnes sourdes ». Il poursuit : « Cette transmission directe par des conférenciers eux-mêmes sourds aux adultes sourds est primordiale car elle permet un suivi immédiat du discours sur l'œuvre, face à elle (sans décalage à cause d'un interprète) et avec toutes les nuances subtiles de la langue des signes, visuelle et gestuelle. »
Moins bien payés que les guides-conférenciers entendants, les guides en LSF sourds ont longtemps travaillé presque bénévolement. « Ça ne peut pas être du travail gratuit, s'agace Jean-Paul Perbost. Nous revendiquons les mêmes droits, les mêmes devoirs et le même salaire que tous les autres guide-conférenciers. » Les visites guidées en langue des signes ne dépassant souvent pas une occurence par mois dans les musées, il semble par ailleurs difficile pour les guides de pouvoir en vivre pleinement. La visibilité, cependant, peut changer la donne. Jean-Paul Perbost en est persuadé et se souvient qu'au Louvre cela fonctionnait bien : « Lorsque l'on croisait d'autres groupes, les guides entendants disaient presque systématiquement "Voici nos collègues". Cela valorise notre travail et le place sur un pied d'égalité avec celui d'un guide en anglais ou espagnol. »
La beauté du signe
Comment signifier le château de Versailles, le musée du Louvre ou les Abattoirs de Toulouse ? Longtemps, les guides-conférenciers ont dû épeler les noms en entier pour les nommer. Avec quelques-un.e.s de ses collègues, Jean-Paul Perbost a mis au point des signes pour les évoquer. « La langue des signes est très riche et des néologismes s'y créent comme dans n'importe quelle autre langue », nous explique-t-il. Le guide-conférencier, ancien responsable de l'antenne Public sourd au Centre des monuments nationaux et du Club Gestes des Monuments nationaux (poste désormais occupé par Stéphane Duchemin), raconte que le geste utilisé pour signifier les Abattoirs est le même que celui qui signifie « boucherie » en LSF. « Je n'aime pas beaucoup ce signe. En voyant la série d'arcades sur les côtés du bâtiment, j'ai trouvé que c'était visuellement très parlant. J'ai donc proposé un nouveau signe pour nommer le musée et il a été adopté par beaucoup d'autres conférenciers toulousains. » Co-auteur des ouvrages Lex'signes du CMN, Jean-Paul Perbost exécute un cercle avec ses doigts : « Ça veut dire "musée d'Orsay". Comme c'est une ancienne gare, nous le traduisons ainsi, en référence à l'immense horloge. » Et pour le château de Versailles, il dessine les rayons du soleil émergeant derrière le château. « C'est visuellement parlant : le soleil se lêve à l'Est, au-dessus de la chambre du roi Soleil », poursuit-il. Ainsi, les signes se créent petit à petit, en fonction de ce que l'on repère visuellement.
Transmettre
C'est avec affection que Jean-Paul Perbost évoque les jeunes générations. Dans un éclat de rire, il évoque sa retraite : « Je suis le passé, mon but est désormais de transmettre aux générations futures. Je fais un peu office de chasseur de têtes. » Il parle de la nouvelle génération, celle d'Olivier Fidalgo, guide-conférencier à La Villette à Paris et chargé de médiation scientifique en LSF à Universciences, et d'Alexis Dussaix, « passionné par Versailles ». Il admire leur parcours, pas toujours évident car « il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus ». Et pour cause, les études d'histoire de l'art ne sont souvent pas adaptées à des étudiant.e.s mal ou non-entendant.e.s : « Certains demandent la présence d'interprètes à l'université, mais cela coûte cher, malheureusement. » Il se souvient que lorsqu'il était en amphi, à la faculté, il se mettait au premier rang, le plus près possible du professeur et qu'il essayait de suivre avec des polycopiés donnés à l'avance. De l'histoire ancienne ? Pas tant que ça.
À voir
« L'Histoire silencieuse des sourds, du Moyen-Âge à nos jours », à partir du 19 juin, Panthéon, place du Panthéon, Paris (5e), paris-pantheon.fr