En 2018, la nomination de Chris Dercon à la tête du Grand Palais avait surpris son monde. Pas seulement parce qu’un Belge allait présider au chantier colossal d’un des plus grands établissements français. C’est son profil, plus que sa nationalité, qui a dérouté les commentateurs car, pour la première fois, un homme de l’art, inventif et atypique qui plus est, remplaçait une énarque (Sylvie Hubac), qui avait succédé à un autre énarque (Jean-Paul Cluzel) !
Pour les contempteurs de l’énarchie culturelle, cette bonne nouvelle en annonçait une autre, puisqu’Emmanuel Macron a promis la suppression de cette École d’administration dont les travers semblent avoir résisté à toutes les réformes. Endogamique, élitiste, plus soucieuse de ses intérêts particuliers que de l’intérêt général, préparant des hauts fonctionnaires vivant en vase clos ou – pire encore – pantouflant entre deux affectations. Ce réquisitoire violent, aussi partial que partiel, valait aussi pour la haute administration des musées.
Les énarques méritants n’y manquent pourtant pas. Citons pêle-mêle Julie Narbey au Centre Pompidou et Arnaud Oseredczuk au musée d’Orsay pour ce qui est de ceux actuellement en poste, ou d’anciens du Louvre comme Didier Selles (désormais à la Cour des comptes) ou Aline Sylla-Walbaum (qui a rejoint Christie’s). Et Serge Lasvignes – dont la nomination ultra-politique à la présidence du Centre Pompidou avait soulevé quelques remous en 2015 – s’est révélé plus ouvert aux questions de société que bien des conservateurs... Dans le passé, certains énarques « distraits » comme François Barré, qui préféra à une carrière rectiligne des chemins de traverse, à La Villette comme à Pompidou, ont montré qu’on pouvait à la fois être hors norme et dans la norme.
Pour autant, que les griefs soient fondés ou faciles, la machine administrative culturelle est évidemment perfectible. À condition de se fixer les bons objectifs. La suppression de l’ENA, en effet, n’aurait aucun intérêt sinon symbolique, si la future filière de formation administrative n’introduit pas plus de diversité socio-culturelle. Il s’agira aussi d’éviter de récréer un esprit de corps permettant à une Agnès Saal, condamnée pour des frais de taxi indus à l'INA et au Centre Pompidou, d’être recasée comme haut fonctionnaire à l’égalité et la diversité… Quant aux contrôles, qu’ils soient plus rapides ! L’évaluation en 2018 par la Cour des comptes du chantier lancé par Jean-Paul Cluzel – et incidemment de ses propres dépenses professionnelles – n’a été faite que deux ans après qu’il a quitté ses fonctions...
Enfin et surtout, la fin de l’énarchie culturelle n’aurait aucun sens si elle ne s’accompagnait de la mise en concurrence des audaces. Malgré des traitements supérieurs à poste équivalent d’environ 30 à 50 % par rapport aux contractuels, les énarques ont – d’une manière générale – manqué d’imagination. Fantaisie, prise de risque, capacité d’anticipation : voilà quelles devraient être les épreuves du futur concours. Reste à vérifier que là-haut aussi, du côté du « nouveau monde », l’imagination soit au pouvoir. Rien n’est moins sûr…