Pas de vague. Le monde de l’art, si prompt à dénoncer toutes les censures, celle de Courbet par Facebook ou des affiches d’Egon Schiele par le métro londonien, est aux abonnés absents pour Hervé di Rosa. Face à la pétition exigeant le retrait d’une de ses œuvres exposée à l’Assemblée nationale, l’artiste singulier s’est retrouvé singulièrement seul. Ministre, curateurs, artistes, à de rares exceptions près, tout le monde regarde ailleurs. À l’image du monde universitaire, quasi mutique après l’annulation forcée d’une représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne en mars. Risque-t-on de perdre ses prébendes à rappeler que la cause la plus juste peut être desservie par des méthodes qui ne le sont pas ?
La réalisatrice Mame-Fatou Niang, initiatrice de la pétition, est certainement sincère lorsqu’elle évoque la gêne ressentie face à une toile évoquant l’abolition de l’esclavage en 1794. Pour la professeure de littérature française à l’université de Carnegie Mellon, les personnages « aux yeux exorbités, lèvres surdimensionnées, dents carnassières » participent assurément d’une « imagerie empruntant aux publicités Banania et à Tintin au Congo », bien qu’elle reconnaisse que les personnages lippus inspirés de la bande dessinée sont la marque de fabrique de Di Rosa.
Cette controverse n’est pas sans rappeler celle qui divisa la communauté juive face au le film La Vie est belle de Roberto Benigni narrant sur un mode comique une histoire d’amour s’achevant dans un camp de concentration. À une différence près : personne n’avait alors réclamé que le film soit retiré du circuit des salles. Penser comme le clame la pétition que la sensibilité d’autrui n’est pas négociable, c’est s’autoriser toutes les fatwas. C’est clouer le bec, fermer la porte au débat. Mame-Fatou Niang et le sociologue Julien Suaudeau, co-signataire de la pétition, auraient pourtant gagné à ouvrir un dialogue avec un artiste au-dessus de tout soupçon raciste. À évoquer leur ressenti, plutôt que laisser place au ressentiment en dégainant l’arme fatale, le retrait pur et simple. À lancer pourquoi pas un appel pour une nouvelle représentation de ce sujet en mobilisant aussi des artistes afro-descendants.
Mais aux yeux des plus zélotes, ce serait rendre les armes. Le chemin du dialogue est plus ardu que les voies de l’injonction et de l'intimidation visant tacitement les uns et les autres à s’interdire des sujets. Plutôt qu’un silence gêné, le milieu de l’art devrait s’emparer du sujet, affirmer que les blancs ne sont pas condamnés à ne représenter que les blancs, ni les noirs les noirs, ni les juifs les juifs.