Depuis l’inauguration de l’exposition « Toutânkhamon » à la Villette, à Paris, pas un jour ne passe sans un article, une chronique, une émission qui ne se réfère au jeune pharaon super star qui régna 33 siècles avant Emmanuel Macron et Abdel Fattah al-Sissi. À l’occasion de ce moment fort de l’année culturelle France-Égypte, peu de voix se sont toutefois émues du sort de l’écrivain Alaa Al-Aswany, qui selon un communiqué publié le 18 mars par la maison d’édition Actes Sud, est poursuivi par la justice militaire égyptienne pour insultes envers le maréchal-président. Selon Human Rights Watch, 60 000 opposants au régime seraient d’ailleurs détenus dans les geôles du pays.
Mais voilà, les splendeurs de l’Égypte ancienne passionnent les foules plus que les misères de l’Égypte actuelle. De plus, la préservation des vieilles reliques préoccupe davantage que le bien-être des hommes. Lorsque l’État islamique, en 2015, a détruit le temple de Bêl sur le site de Palmyre, puis trois ans plus tard le plus ancien palais de l’humanité sur le site antique de Mari, le monde occidental s’est légitimement ému. Lors de la 70e conférence générale de l’Unesco en 2015, le président François Hollande a même évoqué « un droit d’asile pour les œuvres d’art ». Le timing a toutefois pu troubler certains observateurs, en pleine crise des migrants. Tout comme la préconisation du président du Louvre, Jean-Luc Martinez : un « passeport talent » pour les professionnels et artistes syriens ou irakiens. Le risque étant alors que la France, qui a accueilli peu de réfugiés d’extrême vulnérabilité, apparaisse comme la patrie des arts plus que celle des droits de l’Homme…
Pourquoi prête-t-on plus d’importance au patrimoine artistique d’un pays qu’à son peuple ? Parce qu’un site, un monument ou une momie apparaissent comme uniques, tandis que les hommes se confondent dans une masse abstraite. Parce qu’objets et monuments antiques forgent l’identité nationale d’un pays. C’est en évoluant parmi les œuvres que les hommes se construisent. C’est pourtant eux qu’il faut défendre avant toute chose. Eux seuls ont la capacité de reconstruire des pays exsangues. Eux seuls peuvent, comme Alaa Al-Aswany ou les artistes syriens que nous avons interrogés pour notre enquête (lire page 8), se souvenir, créer et plus encore lutter.