« Est-ce que tu as déjà fumé la pipe ? C’est toujours agréable, une bonne pipe ! » (un directeur d’école d’art à une étudiante) « Vous estimez avoir participé au projet du centre d'art X. Vous nous avez adressé une facture. Le bureau a considéré que compte tenu de l’absence d’engagement formel signé, il ne peut accéder à votre demande et ne réglera donc pas cette facture. » Après avoir décerné le prix de la banque X à un artiste, l’école en charge de l’organisation l’informe qu’il doit donner une œuvre : « C’est mieux dans les locaux de la banque plutôt que sur le sol de ton atelier ». » « La galerie X se met en liquidation judiciaire afin de ne pas payer ce qu’elle doit à ses artistes. » « En six ans, six départs. Le turnover imbattable à X est dû aux diverses pressions psychologiques infligées par la directrice à ses employées ». Des témoignages tels que ceux-ci, La Coupure, sorte de tract placardé aux murs ou passant de mains en mains, en recense des dizaines, citant nommément les abus de curateurs et curatrices en vue, responsables d’institutions, galeristes, artistes… Diffusé comme une sorte de manifeste underground par des contributeurs anonymes – dont de nombreux « déserteurs de l’art », témoigne l’une d’entre eux –, il est l’écho d’un mouvement général dans le milieu de l’art : la parole se libère. Ainsi, le site nousprofessionnellxs.com propose-t-il également de relayer de manière anonyme (et donc non vérifiable) les abus et de « donner accès à des ressources et des exemples pour se sentir moins isolé·e·x·s et mieux se défendre », tandis que documentations.art se fait la chambre d’écho de revendications dans le secteur institutionnel, notamment dans le prolongement du mouvement des « Gilets Jaunes ».
« Il y a clairement un ras-le-bol, un effet de saturation : la nouvelle génération n’est pas prête à supporter les conditions de travail que la précédente a à la fois mises en place et supportées. Le milieu de l’art a en son cœur une forme poussée d’exploitation, dont les artistes notamment ont maintenant compris la mécanique », observe Grégory Jérôme, chargé de mission pour la formation continue à la HEAR (Haute École des arts du Rhin) à Strasbourg et fondateur de Central Vapeur PRO, association qui apporte aux artistes des outils d’autonomisation. Pourquoi aujourd’hui ? « Les informations circulent plus facilement qu’auparavant, de manière latérale, sans direction éditoriale, grâce à Internet notamment ». Le chercheur pointe par ailleurs un écart ressenti comme insupportable entre les conditions de survie des structures publiques et les avantages accordés aux fondations et au mécénat privé, dans un milieu où cohabitent les très précaires et les très fortunés.
Effet #MeToo
Si la souffrance dans le milieu de l’art excède largement les cas de…