Quelles sont les nouveautés de cette édition ?
Dès le départ, l'ambition de notre foire était de parler de l'Afrique et de ses ouvertures. Notre philosophie était de fédérer des artistes revendiquant un lien à l'Afrique, quelle que soit leur identité géographique. Cette année, nous poussons le message encore plus loin en explorant les axes Sud/Sud, le meilleur moyen de décentraliser ces scènes artistiques et de redessiner une carte de l'art contemporain : au lieu de mettre en son centre l'Europe et les États-Unis, nous partons de l'Afrique et ainsi apparaissent des circuits détachés de cette domination du Nord.
Quelles relations mettez-vous en évidence ?
Nous présentons des artistes que l'on ne s'attendrait pas à voir ici, de la Corée à l'Afrique du Sud, du Zimbabwe à l'Argentine, avec une très forte présence cette année des artistes venant des Amériques, des États-Unis à travers le mouvement afro-américain jusqu'à l'Amérique latine. Marcelo Brodsky (galerie ARTCO) en est l'exemple parfait : il confronte les révoltes actuelles au Zimbabwe à celles historiques de l'Argentine, son pays. Le Coréen Kyu Sang Lee, qui a fait ses études et vit au Cap, confronte ces deux cultures opposées à la base, dans un travail influencé, de plus, par le surréalisme. Cette approche ouvre la foire à un cercle d'artistes plus large ; au lieu de cloisonner, des frontières se dissolvent, ce qui est très important dans un monde où les politiques les ferment de plus en plus.
Face à cette affirmation des identités et la montée des extrémismes, les artistes ont-ils besoin d'affirmer leurs racines ou de relativiser ces origines ?
Un artiste est influencé par les mondes qui l'entourent, peu importe le sujet qu'il aborde dans son travail. On peut parler des artistes engagés qui vont aborder les questions d'identité, des régimes politiques, des classes sociales, de religions... Et il y a des artistes qui prennent un autre chemin, revendiquant leurs liens à des cultures et les influences qui les nourrissent. Je pense qu'il est important de ne pas mettre de barrières et de permettre à chaque artiste de raconter son Afrique.
Est-ce qu'AKAA est une foire de niche ?
Oui, car nous avons cette particularité qui nous ramène toujours vers le continent africain. Et non, car nous restons une foire d'art internationale.
Avec cette 3e édition de la foire, avez-vous atteint un premier objectif par rapport à vos ambitions de départ ?
Nous grandissons d’année en année. Nous sommes partis d'une première édition annulée pour arriver à une foire qui accueille 49 exposants du monde entier. Notre public aussi ne cesse pas de s'élargir, il est toujours curieux. Toute l'année, nous sommes sollicités pour participer à des projets ou à des collaborations. Cela prouve bien que cet engouement pour l'Afrique, notamment au printemps 2017, n'est pas retombé. Lorsque nous avons démarré l'aventure en 2014, c'était un vrai pari et aujourd'hui, pour beaucoup, cette foire est une évidence. Voilà une grande victoire !
Quelles sont vos dernières découvertes ?
Je pense en particulier à un artiste qui n'est pas représenté par une galerie, mais proposé par notre partenaire Les Maisons du Voyage – La Maison de l’Afrique : Alun Be, jeune photographe sénégalais qui a vécu entre New York, Paris et Dakar. Il confronte la culture traditionnelle et le monde digitalisé, connecté. L'autre artiste qui m'a touchée est l'Éthiopien Tariku Shiferaw (voir page 11), présenté par la galerie Addis Fine Art, qui s'inspire des grands rythmes de jazz qui ont influencé les générations africaines-américaines du temps de l'esclavage.
Les tables rondes sont toujours des moments importants. Comment les avez-vous construites ?
Nos tables rondes reflètent l'exploration de ces axes S/S, traitant par exemple de la représentation du corps dans les mondes musulmans, de l'Afrique jusqu'au Moyen-Orient ; de la circulation des motifs et des techniques textiles, du batik au wax, de l'Indonésie à l'Afrique ; de la black identity et de l'art des Amériques en lien avec le continent ; de l'importance des résidences croisées et de la manière dont elles affectent les réseaux des artistes, leur travail, leur carrière... Cette diversité va révéler les ponts que nous essayons de mettre en lumière.