C’est un épisode mille fois raconté. Celui de la toile de Dana Schutz exposée à la Biennale du Whitney Museum de New York en 2017, réinterprétant la célèbre photographie qui montre dans le cercueil laissé ouvert par sa mère le corps martyrisé d’Emmett Till, victime d’un lynchage raciste dans l’État du Mississippi en 1955. À l’époque les images brutales, publiées par le magazine africain-américain Jet mais refusées par les grands journaux nationaux, avaient traumatisé la communauté noire. Dans une lettre ouverte diffusée au début de la Biennale, l’artiste britannique Hannah Black lançait l’accusation : quelle est la légitimité d’une artiste blanche à utiliser « la douleur noire comme un matériau brut », devenue abstraite, face au racisme qu’elle ne peut pas connaître ? Le débat sur l’appropriation culturelle qui enflammait déjà la société américaine dans les domaines de la mode ou de la musique pop trouvait un écho médiatisé dans l’art contemporain.
En Europe aussi la polémique a fait évoluer les choses. Après son coup de gueule, l’artiste Hannah Black a exposé à la très respectée Chisenhale Gallery à Londres et au Centre d’art contemporain de Genève, et a présenté tout récemment une performance au Centre Pompidou dans le cadre du festival Move. Son message aurait-il été entendu ? Pendant longtemps, on a renvoyé l’identity politics (politique identitaire, ndlr) à une spécificité anglo-saxonne, dont l’incompréhension semblait relever d’une vieille dispute avec le prétendu universalisme français. Si en France la notion même de « race » est prise avec des pincettes, aux États-Unis elle est envisagée en tant que construction historique et n’est considérée comme obsolète que par ceux dont la position de privilège empêche d’y voir des effets toujours à l’œuvre.
Usage insensible
D’autres polémiques ont suivi : les peintures de l’Américain Kelley Walker, qui s’approprie des images de mannequins noires et d’émeutes raciales recouvertes de jets de dentifrice blanc ou de…