Mon nom est personne… » Ainsi Ulysse s’est-il présenté au Cyclope, échappant grâce à l’entourloupe à un sinistre destin. Elles aussi, leur nom est personne : toutes ces œuvres anonymes qui sommeillent, le plus souvent, au fin fond des réserves de musées. Nom d’auteur ? Inconnu. Voilà pour la carte d’identité. À combien se dénombrent-elles, ces œuvres peu regardées car privées de ce qui attire, hélas, trop souvent l’œil – à savoir une signature ? Quel sort leur réserve-t-on ? Impossible de donner des chiffres, inutile de chercher à résumer : à chaque sans-famille, une histoire. Mais si, tout simplement, on les regardait enfin ? Un processus pas si simple, comme en témoigne le plasticien Alexandre Périgot, lancé dans un dantesque projet destiné à en répertorier et présenter autant que faire se peut. Dans un étonnant accrochage au Cneai de Pantin, il rassemble jusqu’au 22 avril 700 reproductions d’œuvres, toutes anonymes. Elles ont été prélevées au musée des Beaux-Arts de Nantes, où a été initié le projet l’été dernier, mais aussi chez son équivalent de Rennes, où l’exposition voyagera, et encore sur les étagères du Mucem de Marseille, ainsi que dans la méga-collection du Centre national des arts plastiques (Cnap). Soit une foule de sans-pedigree, où se mêlent soldats inconnus du design, caravagesques condamnés à jamais à rester dans l’ombre et cruches de grès. Paysage à la Poussin, boule de Noël, fond de scène de fête foraine… « Ces œuvres sont la part maudite du musée, les emmerdeurs qu’on met aux oubliettes. Moi j’ai envie de leur dire : “Anonymes du monde entier, unissez-vous” », clame Périgot, qui a baptisé son encyclopédique musée virtuel « Mnep », comme « Mon nom est personne ».
Enfants nés sous X
Mais pourquoi sortir ces pièces, soudain, de leurs limbes relatifs ? Quid de cette armée des ombres ? Comment traiter ces sans-papiers ? Les musées ne raffolent pas forcément de ce genre de questions. « Le corps des conservateurs a parfois du mal à comprendre qu’on sorte ces anonymes de leurs réserves, car ils sont comme les enfants nés sous X du musée : ils n’ont pas de véritable statut, sauf celui, pour le conservateur, d’espérer leur trouver une attribution. » Alexandre Périgot est pourtant parvenu sans trop de mal à embarquer dans son odyssée plusieurs institutions d’envergure. Un processus aussi déstabilisant qu’il le laisse penser ? « Les équipes ont l’habitude d’être déstabilisées par les artistes, elles y ont même pris goût », pondère Sophie Lévy, directrice du musée de Nantes qui a, en pleine réouverture de l’institution, permis de dévoiler 154 de ses anonymes, d’une copie de La Vierge aux rochers de Léonard de Vinci à une version…