Même les géants ont parfois l’art modeste. Qu’ils se nomment Rem Koolhaas, David Chipperfield, Dominique Perrault ou Renzo Piano, qu’ils aient été lauréats du Pritzker Prize, du Praemium Imperiale ou d’autres récompenses de haute volée, ils font profil bas quand leur mission est d’insuffler la vie à des bâtiments confits dans une gloire déchue. Pas facile d’ajouter une aile à un musée classé monument historique, de restructurer un bâtiment signé par un architecte devenu une légende, d’oser mutiler l’œuvre d’un maître. Exercice imposé de modestie, ciselage de haute voltige, leurs interventions exigent une retenue qui confine à l’ascétisme voire au masochisme. Et pourtant, quand le talent se mêle à la réflexion, quand la finesse d’exécution porte en elle la patine délicate d’une restauration d’orfèvre, il advient que la patte de l’architecte intervenant en seconde main se révèle et transfigure l’existant. Sur le palimpseste des tracés initiaux d’autres volumes prennent forme, une signature apparaît.
Lafayette Anticipations, la mobilité triomphante
Rem Koolhaas en fait actuellement la démonstration rue du Plâtre, à Paris, dans l’agencement des espaces de Lafayette Anticipations, catalyseur d’énergies et de créativité de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette. Sommé de préserver un édifice enclavé dans une rue étroite, un ancien bâtiment industriel du XIXe siècle ceinturé à gauche et à droite d’immeubles, il y a introduit une machinerie percutante qui autorise désormais des mises en scène spectaculaires. Sur les 2 800 m2 de surface utile, 840 sont dévolus aux expositions. à ceux-ci s’ajoutent un restaurant, une boutique et un enclos dédié aux enfants.
Particularité du dispositif, les lieux d’exposition sont modifiables à volonté. Une tour composée de quatre niveaux mobiles et superposés est insérée dans l’emprise du bâtiment. Les planchers se déplacent de haut en bas le long de crémaillères et peuvent se bloquer entre les étages. Dans un hommage (qui sait ?) à Michel Houellebecq, c’est bien un jeu de plateformes que Rem Koolhaas propose ici, et c’est là que son savoir-faire et son génie s’expriment. Car au respect de l’enveloppe, de la rue, du contexte bâti, historique et mémoriel d’un site hier industriel, dans cet édifice élevé en 1891 par l’architecte Samuel Menjot de Dammartin où l’on répara les chapeaux de paille du BHV, qui servit donc à stocker comme à retisser la paille, Rem Koolhaas…