Le Quotidien de l'Art

Au Centre Pompidou, Brassaï fait parler les murs

Au Centre Pompidou, Brassaï fait parler les murs
Brassaï, Sans titre, de la série Graffiti [Le langage du mur], 1945-1955, épreuve gélatino-argentique, 30 × 22,5 cm. Collection Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris. © Estate Brassaï - RMN-Grand Palais. © Centre Pompidou/Dist. RMN-GP/ Adam Rzepka.

Le Centre Pompidou présente à Paris une exposition centrée sur les photos de graffitis, une série qui n’a pas encore révélé tous ses mystères.

Au 58 rue Pixérécourt, à Paris, Brassaï, a repéré une tête de diable et au 41 rue des Bois, une tête de clown. Releveur de graffiti, ce n’est pas une mince affaire. Brassaï s’y est employé vingt-cinq ans durant, de 1933 à 1956, accumulant au fil du trottoir des centaines de photos de petits pans de murs gris. De ces clichés de graffitis parisiens, célèbres jusqu’à la nausée, on pensait tout savoir : publiés en 1933 dans la fameuse revue surréaliste Minotaure, exposés en 1956 au MoMA de New York, réunis en 1961 dans un ouvrage culte… Et pourtant. L’exposition que leur consacre le Centre Pompidou montre que l’on avait encore à apprendre. « Les graffitis figurent toujours dans les rétrospectives consacrées à Brassaï, mais ils n’ont jamais fait l’objet d’une étude sérieuse et approfondie. En me plongeant dans cette série, qui a obsédé Brassaï toute une partie de sa vie, je me suis rendu compte que ces photographies avaient changé de statut et de signification suivant les époques, explique Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice de la photographie au Centre Pompidou et commissaire du projet. Brassaï ne les a pas toujours interprétés de la même façon et le monde de l’art et de la littérature a lui aussi contribué à enrichir et modifier la perception de cette œuvre singulière. Ce sont tous ces différents points de vue que développe l’exposition ».

Brassaï commence à s’intéresser aux graffitis dans les années 1930. Dans la lignée d’Atget, ses photos de murs balafrés ou graffités, relevés dans les quartiers ouvriers, s’intègrent alors dans une perspective documentaire. Mais c’est sans compter ses compagnons surréalistes, qui voient dans les formes « naturelles » qui surgissent aux murs des manifestations de l’inconscient. « Sous l’impulsion de Dalí, Brassaï opère des prises de vue rapprochées, ou bien il recadre ses images au tirage, agissant ainsi selon un des principes chers au Surréalisme, le dépaysement : priver un objet de son contexte pour l’ouvrir à de nouvelles connotations au potentiel fantasmagorique », explique la commissaire. Au sortir de la guerre, Brassaï montre ses graffitis à Picasso, à Dubuffet, à Prévert, et les mêmes images trouvent en chacun de ses amis un écho différent. Picasso y voit la preuve chez l’homme « d’une force créatrice primitive ». Il produit des papiers déchirés qui évoquent les têtes archaïques des graffitis, recrée un art de l’urgence, reconduit la pauvreté de moyens. Dubuffet perçoit dans le mur tailladé le signe d’un art anarchique et dénué de tout académisme. Il emprunte à son ami des photos de graffitis pour illustrer son premier album d’art brut en 1947. Quant à Prévert, il se sert des graffitis de Brassaï pour produire des collages poétiques. Le mur est fait pour être traversé et transmuté.

Dans les années 1950, lorsqu’il prépare son exposition au MoMA, Brassaï le surréaliste entreprend de donner une couleur plus politique à ses graffitis. Dans les premières pages d’un catalogue qui n’a jamais vu le jour (seule la maquette est présentée), il réunit une théorie de graffitis belliqueux. « Dans ces années marquées par la guerre d’Algérie, réunir des clichés de slogans, de marteaux et de faucilles, de croix de Lorraine recouvertes de coulures de peinture, attestait d’une démarche clairement contestataire », précise Karolina Ziebinska-Lewandowska. Quelques années plus tard, changement de perspective. Lorsque Brassaï expose ses clichés en 1962 à la galerie Daniel Cordier à Paris, « il gomme la dimension politique et revient à des thématiques et des symboliques simples telles que “l’amour”, “la mort” ou “le sexe” ». Les critiques d’art de l’époque, eux, associent ses images matiéristes à de l’art informel, au tachisme, et leur confèrent une dimension purement esthétique. Les graffitis, décidément, semblent pouvoir supporter toutes les interprétations. C’est sans doute la marque des grandes œuvres, de celles qui œuvrent en sourdine et sont faussement modestes. « Les graffitis ne veulent rien dire de plus qu’ils ne sont, mais ils sont beaucoup plus qu’ils ne disent ». Parole de Brassaï.

BRASSAÏ, GRAFFITI, du 9 novembre 2016 au 30 janvier 2017, Centre Pompidou,

Galerie de photographies, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33,

www.centrepompidou.fr

Catalogue, Brassaï, le langage des murs, essai de Karolina Ziebinska-Lewandowska,

éd. du Centre Pompidou / Xavier Barral, 155 ill., 320 p., 42 euros.

Article issu de l'édition N°1170