Au Jeu de Paume donc, une exposition euphorisante qui repose sur le pari que se soulever, « c’est retrouver la divine énergie du désir », pour reprendre les mots de Marie-José Mondzain, l’une des six auteures du catalogue. L’imagerie foisonnante et tellurique convoquée par Georges Didi-Huberman – près de 105 préteurs – puise autant dans l’histoire de la peinture que dans celle du cinéma, de la vidéo, de la photographie ou de l’installation. De Goya à Tina Modotti, de Victor Hugo à Eisenstein, de Dada à Annette Messager, 282 œuvres attestent d’une persistance de gestes immémoriaux nés de l’effroi, de l’émotion et du refus, gestes qui constituent la première étape d’actions qui vont de la manifestation à la grève en passant par le hacking. Le corps est le vecteur premier de cette dynamique irrépressible, relayé par la parole. « Les éléments se déchaînent, les bras se lèvent, les bouches s’ouvrent, les corps s’animent, les mots s’affichent aux murs, les tracts et les poèmes fusent, les barricades s’élèvent, les révoltes s’expriment et, par-delà l’échec parfois des insurrections, le désir de résistance perdure » : c’est avec ce tempo crescendo que Georges Didi-Huberman a construit un accrochage qui se déploie sur les deux étages du Jeu de Paume. Dans la lignée d’Aby Warburg, il souligne la circulation des mêmes motifs à travers l’histoire et laisse les œuvres dialoguer entre elles, activant au passage l’imaginaire du visiteur. Il croise les époques et les frontières, les drapeaux de la monarchie tachés de sang peints par Léon Cogniet et les drapeaux de la place Tahrir filmés par Jasmina Metwaly, l’ouvrier gréviste assassiné à Mexico photographié par Manuel Alvarez-Bravo et les morts de la Commune dessinés par Manet. Il libère une danse universelle, une sorte de transe qui fait des manifestants cadrés par Gilles Caron de magnifiques funambules, des tables et rubans filmés par Roman Signer des objets délivrés de la pesanteur, du mot « mierda » calligraphié par Federico García Lorca une boucle d’encre hypnotique.
L’exposition, portée par un formidable lyrisme des formes, est ouvertement politique même si Georges Didi-Huberman précise qu’« il s’agit (pour lui) de prendre position sans pour autant prendre parti ». Difficile pourtant de ne pas voir dans sa proposition une forme de réponse aux temps présents, surtout lorsqu’il aborde, en fin de parcours, la question des migrations et rejoint ainsi l’actualité la plus brûlante. Le film poignant de Maria Kourkouta sur la marche des migrants à la frontière gréco-macédonienne laisse peu d’espoir quant à des jours meilleurs. Mais le désespoir génère, semble-t-il, sa propre dynamique. Dans un film de Jochen Gerz daté de 1972, on voit un homme, campé entre ciel et terre, crier jusqu’à l’épuisement. Cet homme obstiné, qui crie en dépit du vide qui l’entoure, ce hurleur solitaire ne hurle pas en vain puisqu’à lui seul il met en branle le monde. N’est-ce pas Albert Camus qui disait « Je me révolte, donc nous sommes » ?
SOULÈVEMENTS, jusqu’au 15 janvier 2017, Jeu de Paume, 1 Place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org/
Un site spécifique a été conçu pour accompagner l’exposition :
soulevements.jeudepaume.org
Catalogue, sous la direction de Georges Didi-Huberman, textes de Nicole Brenez, Judith Butler, Georges Didi-Huberman, Marie-José Mondzain, Antonio Negri, Jacques Rancière, coéd Jeu de Paume / Gallimard, 420 pages, 300 illustrations, 49 euros.